#anthologie #23 | sous la grotte

Plus bas, il y a la grotte. On pourrait y entrer par la cheminée que le père avait creusée. On tomberait sur le feu, sur la couverture, sur les enfants grelottants, sur un lit de feuilles mortes et de paille éparpillée, sur la pierre friable d’un sol poreux où traineraient des tasses ébréchées, des fourchettes, des bouts de cartons, des os de poulet, des éclats de verre, des cailloux lisses dont on se servait pour jouer aux billes, des flaques d’eau croupie, des traces de pas, grosses chaussures et pieds nus, des petits monticules de terre, des brindilles brisées, de la ferraille rouillée, des rats.

Plus bas encore, ça grouillerait de vers dans des tanières grattées par des pattes patientes et des mains ensanglantées. On y trouverait des lignes tracées par de longues règles dont des fragments s’accrocheraient parfois aux parois de molasse. On y trouverait des clous tordus, des grillages, des jeux de cartes déchirées, des prénoms gravés puis effacés puis recouverts par d’autres prénoms, des mottes de terre, de l’humidité, du moisi, des mouchoirs en loques, un petit panier plein d’œufs pourris.

Et plus loin encore, plus au fond de la vallée, la rivière charrierait des troncs que de laborieux castors rassembleraient pour bâtir un barrage où s’agglutineraient des plaques de tôle ondulée, des débris de nids d’oiseaux, de l’écume sale, des bouchons, des têtards et des libellules, des bouts de ficelles de bottes nouées et renouées cent fois, une sandale en plastique passée trop près d’un feu, de l’huile stagnante, un fil de canne à pêche autour duquel tournoieraient des truites cherchant une brèche dans la muraille de branchages.

Plus bas encore, d’autres grottes s’ouvriraient, ornées de dessins : bonshommes rachitiques à tête ronde, chevaux cabrés, hiéroglyphes indéchiffrés composés de serpents, d’yeux fermés, de vagues superposées transpercées par des rayons de soleil, formes mi animales mi humaines, surlignements à la craie des anfractuosités de la roche esquissant ça et là des béances obscènes ou des sourires édentés, petits trous réguliers piqués de poinçons acharnés, restes ébranlés d’échafaudages rongés de termites, crânes fendus de rongeurs et d’enfants, autels votifs surmontés de photos effacées. On devinerait une barbe, une lampe torche, une peau de cerf.

Plus bas encore, l’eau, la boue, l’écoulement incessant, l’écho des gouttes, un tibia qui aurait servi de flûtes à des gamines dont on reconstituerait les robes déchirées, tissus brodés de fleurs et de fruits en grappes, une table effondrée couverte de poupées dont on aurait coupé les cheveux, un escargot géant fossilisé dont un doigt couvert d’ocre a suivi la spirale, changeant parfois de couleur, passant du rouge au noir et du noir au violet, usant pour ce faire de matières inconnues.

Et tout en bas, une araignée aurait tissé sa toile que déchireraient des squelettes de chauve-souris dans une chaleur sèche et puante que des fumées venues d’on ne sait où tempéreraient parfois, libérant des hordes grouillantes d’êtres indéfinissables dont on se demanderait s’ils n’avaient pas, couverts de crasse et de poussière, quelque chose d’étrangement humains.

A propos de Vincent Francey

Enseignant, chanteur et clarinettiste amateur, je vis dans la région de Fribourg, en Suisse, et suis passionné de lecture et d'écriture depuis toujours, notamment via mon site a href="https://www.lie-tes-ratures.com/">lie tes ratures mais aussi sur un blog né à la suite de l'atelier d'été sur la ville : fribourgs.com. Auteur d'un livre autoédité, Je de mots, dictionnaire intime, je suis également présent sur YouTube pour, entre autres expérimentations, y parler de mes lectures.

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