#anthologie #23 | mur

Au début, on gratte avec l’ongle, on détache un petit bout et on tire le plus délicatement qu’on peut, un lambeau vient, puis un autre, le geste se précise, on déchire avec soin, des lanières de plus en plus régulières, du bas vers le haut, de longs lambeaux aux imprimé de fleurs. On déchire viennent la couleur, les tâches et toute la poussière accumulée ; ce n’est qu’une première couche de papier : un mètre carré de fleurs en deux heures c’est assez décourageant ; on voit bien la deuxième couche, de fines rayures ton sur ton ; on va mettre cette zone à nu couches après couches, on pourra mesurer l’ampleur du travail, on s’attaquera au tout après. Des rayures en premier dessous, et quoi dessous, quoi en dessous du dessous ? on a vu les photographies dans l’album : les petites voitures de la chambre d’enfant ; la toile de Jouy d’avant avant, et le mur nu d’il y a cinquante ans. On tente d’attraper une rayure avec l’ongle, ça ne vient pas; on gratte, on griffe. Rien. Avec le racloir on arrache que de minuscules fragments, que de la charpie de papier ; si on y va trop fort on va tout bousiller, on ne verra jamais le dessous, ni le dessous du dessous, on ne verre jamais le mur; jamais on ne remontera le temps; on se dit qu’à la vapeur ça va venir tout seul, alors on prend la décolleuse. Dans la zone d’un mètre carré, ça gonfle comme un ventre, une cloque énorme, couches sur couches elle gonfle, elle croit, elle va crever on le croit: dessous le mur palimpseste crie

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

3 commentaires à propos de “#anthologie #23 | mur”

  1. Superbe, c’est vraiment concrètement comme ça d’arracher le papier, On tente d’attraper une rayure avec l’ongle, ça ne vient pas; on gratte, on griffe. Et tout ce que ça dit des histoires accumulées. Merci

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