#anthologie #22 | Maison Capdetrey

1975, maison Capdetrey, Aulon (65)

C’est d’abord une odeur de poussière, une odeur de poussière et de miel, de miel mêlé à l’odeur du bois, un bois de sapin, celui des volets restés fermés plusieurs mois et derrière lesquels on découvre les alvéoles jaunes de miel collant. C’est le bourdonnement des abeilles dans le silence obscur de la maison laissée à l’abandon tout l’hiver, un bourdonnement sourd qui indique l’endroit du liquide doré dans la pièce humide et noire. C’est la pièce de vie, le seul endroit où l’on peut se réunir en dehors des chambres. Au sol, les larges planches disjointes du plancher craquent quand on pose le pied dessus. La cheminée troue le mur, à côté la gazinière alimentée par deux grosses bouteilles permet de cuisiner le millas, les poulets sont tués sur la table, le sang est récupéré pour la sanquette à l’ail. Au milieu de la pièce, la trappe ouvre sur la cave et sur les cauchemars du soir. Dans la deuxième pièce du rez-de-chaussée, les volets restent systématiquement fermés : c’est une pièce noire. Dans cette pièce noire, le sol en terre battue, bosselé et tendre, découvre par endroits un mince filet d’eau qui surgit du mur derrière la route et trace son parcours en petit delta. À l’étage, entre les deux chambres face à face, il n’y a rien, pas de salle de bain, pas de toilettes. On trouve un broc et des bassines dans les chambres et, au fond de la cour, on peut s’asseoir sur une caisse en bois avec un trou qui laisse passer un fort courant d’air.

2024, maison Capdetrey, Aulon (65)

C’est toujours une odeur de poussière, mais sans les effluves de miel, les abeilles sont parties depuis longtemps déjà, les abeilles se font rares de nos jours. C’est toujours une odeur de bois, une odeur de bois mélangée à celle des vieilles cendres dans la cheminée, une odeur chaude de maison préservée par le temps. C’est le silence qui monte des âges anciens dans l’obscurité des volets clos, permanence des années qui ne meurent pas, impénétrables au vent trop vif de la modernité. C’est donc la même pièce de vie, la cheminée béante, ses chenets, son soufflet, les étagères en bois sur lesquelles religieusement s’alignent les casseroles de cuivre, les cruches et les brocs en terre cuite, les fers à repasser en fonte et les lourdes cloches des vaches. On marche désormais pieds nus, sans sabots, sur un carrelage jaune et froid, silencieux. La trappe est cachée sous un tapis aux motifs géométriques, les cauchemars se tiennent cois. Dans la deuxième pièce, on cuisine aujourd’hui, on a ouvert les volets et séché le sol, plus de petit delta mais un carrelage brillant. Le sang des poules sacrifiées ne coule plus, la volaille sous plastique attend dans le réfrigérateur. L’électricité alimente toutes les machines modernes qui promettent une nourriture sophistiquée. À l’étage, entre les deux chambres, la salle de bain satisfait les nouvelles exigences, le confort et l’hygiène. Les courants d’air sont moins vifs, on colmate peu à peu les anciennes brèches, on remplit les fissures, on s’installe dans l’aisance. Mais le soir, assis dans le recueillement du jour neuf, on entend les abeilles bourdonner, on sent l’odeur du miel vivant.

A propos de Olivia Scélo

Enseignante. Bordeaux. À la recherche d'une gymnastique régulière d'écriture.

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