Quand on passait par la cave, il y avait un espace caché, une sorte de trou noir. Il permettait d’accéder – par quelques marches en pierre qu’il fallait gravir dans le noir – à la cuisine du premier étage, la pièce à la cheminée. On appelait ce passage la trappe en raison de la trappe en bois qui en fermait l’accès, juste devant l’évier de pierre placé sous un fenestron orienté plein nord. La trappe était surtout, quand on était dans la cuisine de tante Rosa, la porte vers la peur. Pour la tenir fermée, il fallait faire pivoter une barre métallique qui en interdisait l’ouverture par-dessous. On passait par la trappe pour éviter de faire le tour, lorsque tante Rosa ou maman nous donnait le pot à lait en fer blanc et que nous devions le faire remplir à la ferme au moment de la traite.
Nous descendions les marches de l’escalier tournant en nous appuyant sur le mur en pierre, apeurés, jusqu’à ce que nous apercevions la lueur du passage. Alors nous courions jusqu’à la cour. Là, nous pouvions rire en nous moquant l’un l’autre de nos peurs.
Mais si au lieu de prendre cet itinéraire qui nous terrorisait nous avions continué à tourner, en bas des escaliers, nous aurions non pas vu, parce que nous ne pouvions pas le voir dans un noir si dense, mais découvert un autre passage, secret, oublié, inconnu, occulté, souterrain, plus obscur encore que les escaliers, un passage aux ténèbres profondes et attirantes, une cachette introuvable et rassurante.
Nous y serions allés un soir en explorateurs, sans notre soeur, trop petite mais avec une lampe de poche. Il fallait juste pouvoir lever la trappe sans que ni la tante ni la mère ni la soeur ne s’en rendent compte, la refermer sans bruit au-dessus de nos têtes et descendre, terrorisés mais curieux. Nous nous serions disputé pour savoir qui tiendrait la lampe de poche, une lampe rectangulaire métallique vert bouteille avec une pile carrée sur laquelle nous nous amusions à faire passer le courant électrique dans notre langue, mais pas ce soir-là. En bas des escaliers nous aurions hésité puis nous aurions pointé la lampe vers l’obscurité dense. Sa lumière pâlotte aurait semblé absorbée par la pénombre.
Nous aurions toutefois distingué de nouvelles marches que nous aurions descendues, des marches en pierre aussi, et nous serions arrivés dans une étable, curieusement située sous l’écurie. Dans cette étable nous aurions compté deux vaches qui nous auraient regardé passer en tournant la tête. L’une d’elle aurait pissé au moment où nous arrivions à sa hauteur. L’urine se serait écoulée vers le fond où s’ouvrait un espace assez grand pour que deux vaches passent côte à côte.
Nous aurions traversé l’étable, pénétré l’espace et là, curieusement, alors même qu’il n’y avait ni escalier ni pente ou alors une à peine pente permettant à la pisse des vaches de s’écouler lentement, nous aurions découvert comme une clairière d’herbe fraîche fermée au loin par une forêt. Nous ne nous serions pas demandé d’où venait la lumière. Nous aurions vu une clairière éclairée comme nous avions vu deux vaches dont une, celle qui avait une tache noire sous l’oeil, pisser
Nous aurions traversé la clairière, la forêt aurait été peu profonde, en nous retournant nous aurions pu voir la tour carrée qui semblait posée sur le toit en tôle du jardin sous la terre. Pour traverser la forêt nous n’aurions eu qu’à suivre les torches placées tous les dix mètres environ. Après la forêt il y aurait eu une route, de l’autre côté de la route coulerait une rivière.
Nous l’aurions suivie. C’est à ce moment-là que j’aurais pensé à éteindre la lampe, on y voyait comme en plein jour. Le débit de la rivière était important pour la saison mais peut-être que les rivières souterraines ne connaissent pas les saisons. De cascades en cascades, nous serions arrivés dans une vallée abritée par une grotte immense. Tout en haut de la grotte nous aurions vu des puits de lumière et des taches de ciel bleu. Il y avait au fond le la vallée des champs de blé, des arbres fruitiers, des vignes. Et une usine à la cheminée dressée bien au-dessus des humains.
Dans la vallée fertile, la route suivait la rivière maintenant apaisée.
Si nous l’avions suivie aussi, nous aurions pu arriver à une mer. Mais il était temps de remonter avant que la tante ne cherche sa lampe.
trop beau. Merci Philippe.
merci à toi Ugo
Digne d’un scénario de Miyazaki ! J’ai adoré ! Merci, Philippe !