C’est au matin, l’hiver. Tu marches, tu as le temps avec toi. La Banque de France est encore là, à quoi sert-elle encore ? La pierre de taille est claire, elle n’est pas rongée. Pas de tache de rouille sur les grilles fortes peintes de bleu. Le flanc du lycée en face. Une large porte par laquelle entreront les secours. Par l’ouverture, les cours, les portiques. Pas de silhouette. Au-dessus, des fenêtres, l’une celle du billard. Au bout de la rue, la déclivité commence. À droite, le temple, façade grise et lourde, sans aucune des élégances de l’art. Du côté de l’autre main l’hôtel Crystal. Il a été refait. Pour un peu, tu entrerais pour demander si la chambre 211 existe. Et tout de suite après, le bâtiment à la tourelle pointue, comme celles du Roi et l’Oiseau. Tu te tournes vers la place en pente. Il n’y a plus de fontaines mais des bancs et des îlots de nature artificielle. Sur le côté opposé, les rails du tramway, plus de trottoir, tout est à niveau. Les boutiques sont fermées, les enseignes importent peu, passant comme les prospectus passant de la boîte aux lettres vers la poubelle sans changer de main. La porte qui mène au supermarché culturel est fermée. Tu n’y entrerais pas. Tu es léger, sans bagage. Il y a du temps avant d’aller à la gare pour partir.
Passé le sas, l’aquarium, c’est la libération. Après avoir pris à gauche, puis avoir tourné à gauche, la rue vide entre le flanc du lycée et la Banque de France. Nul n’habite ici, pas de magasin, on ne fait que passer, un couloir, l’enfermement encore. Tu débouches sur la place. Là, l’ouverture. Tu es en haut et la place est inclinée. Il suffirait de se laisser aller, prendre de l’élan et partir. À gauche, un hôtel, jamais tu n’as jamais cherché à savoir son nom. Ensuite, ce bâtiment dans le style qui porte le nom de la ville : une tour effilée, pointue, presque effrayante quand on la regarde d’en bas. Tu la regardes à peine. Au niveau du sol une banque et au-delà ? À droite un bâtiment qui ressemble à une église laide mais sur lequel est écrit le mot temple, un bâtiment gris sans autre prétention que celle de la lourdeur. Les pas portent vers le bus pour partir et c’est là en attendant un soir, faute de réussir à lire les numéros des bus s’approchant, que tu as découvert ta myopie. Ou bien, suivant le bord de la place sans descendre, tu marches et tu montes l’escalier roulant pour marcher au milieu des livres et des disques, pour feuilleter, pour rêver et éviter d’affronter les jours. Des fontaines parcourant la diagonale de la place. Le premier soir avec les autres, sous les hurlements. Tu remontes comme les autres les fontaines une à une, en marchant dans l’eau, en recevant l’eau sur tes chaussures, tes jambes, ton torse. Les rires autour de toi.