#anthologie #23 l Encore plus bas

Je suis de retour. Les images familières s’imposent et effacent celles dans lesquelles j’ai baigné pendant mon séjour à Istanbul. Une longue descente. J’avais pensé au début à une superposition. Aux images du Grand Amilra se superposaient des images de la route de la Jaille ou du rond point de Valkaners. Aujourd’hui je préfère penser à une plongée. Je plonge dans ma vie d’avant. Je m’y enfonce de plus en plus jusqu’à perdre de vue et oublier ce que j’ai vécu à Istanbul. C’est la raison pour laquelle je consigne dans ce qui n’est pas un roman et n’en sera probablement jamais un, les moindres détails de ce que j’ai vécu à Istanbul. La descente a commencé par le retour de nuit depuis l’aéroport. Ensuite mon travail m’a happée et j’ai flotté entre les rémanences de la ville que j’avais quittée et les repères du paysage que je retrouvais. Aujourd’hui je suis allée nager. De l’anse Dupuy aux Trois pointes, les fonds marins changent. Tantôt ils sont proches tantôt ils sont profond au point de ne plus distinguer de formes et de glisser au-dessus d’une immensité bleue. Je levais la tête de temps en temps pour chercher des yeux la bouée ou les premiers cocotiers. Je suis allée jusqu’aux marches de Petite fontaine. Là un homme se mettait à l’eau avec beaucoup de prudence à cause du ressac. Il avait des palmes comme moi et a pris la direction de Rivières Sens. Je n’ai pas voulu le suivre, estimant que j’avais juste assez de force pour revenir au Phare. Je n’ai pas nagé dans le Bosphore ni dans la mer de Marmara. Mon retour comme une plongée sans fin jusqu’au prochain départ. Je me promets d’être attentive lorsque nous nous envolerons pour les Balkans, aux passages des différentes strates. Il m’aura fallu trois semaines pour me sentir pleinement de retour chez moi. Après la plongée dans les paysages, j’ai plongé dans les préoccupations qui n’appartiennent qu’à mon quotidien ici en Guadeloupe et dont je m’étais échappé à Istanbul. Ne serait-ce ce texte sans genre, ni forme ni direction, je n’écrirais le mot Istanbul nulle part. E comme le reste de mon entourage n’ont plus envie de m’entendre parler de la ville de mille ans. Je n’ai d’autres choix que de continuer à descendre. Une force m’y oblige. La géographie m’y oblige. Je suis ici et non là-bas. Les mots que je m’efforce d’aligner sont comme la ligne, le fil de plus en plus ténu que je conserve pour garder le souvenir même effacé, même sans images, sans sensations physiques d’une ville qui m’a changé. Je n’ai pas encore touché le fond. Je descends encore plus bas.

A propos de Gilda Gonfier

Conteuse, paysanne, sauvage. Voir son site 365 oracles.

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