#anthologie #23 | descente

Juste sous la surface, il y aurait une décharge de pellicules photographiques. On se sentirait tomber à travers la masse de boucles brunes, notre chute ralentie, mais jamais arrêtée. Des cris, des rires, des voix, des pleurs, des crissements de pneus, des coups de feu, des bruits d’amour se fondraient peu à peu dans un bruit blanc.
Plus bas, on s’écraserait contre du carrelage. Les joints seraient noirs ; les carreaux, verts — tous d’une nuance différente — ; le ciel, blanc. Perspective cavalière infinie. On marcherait. On marcherait longtemps. D’abord, en suivant une ligne, puis en ne marchant que sur les carreaux, comme un enfant. Puis on changerait de ligne. Puis on se mettrait à courir. Puis on changerait encore de ligne, puis on essayerait de ne plus changer de ligne, mais on changerait encore de ligne, puis on irait en diagonale, puis on changerait de diagonale, puis on ne comprendrait plus les lignes, puis elles se fondraient dans le vert, puis la soif et la faim nous arrêteraient.
Plus bas, une texture. La même, partout. Plus de sol, plus d’horizon. Une texture. On pourrait progresser, mais ça n’aurait aucun sens.
Plus bas encore, il y aurait l’inventaire exhaustif de tous les références de pâte à modeler Play-Doh jamais fabriqués. Les pots seraient rangées dans des boîtes en bois, toutes identiques et nomenclaturées : pdoh.930-01W, pdoh.956-02Y, pdoh.996-01G, pdoh.996-02S, pdoh.014-03Ps…
Et plus loin, l’inventaire tout aussi exhaustif de tous les modèles de revolvers et pistolets jamais fabriqués de façon industrielle, également rangés dans ces boîtes en bois, identiques et nomenclaturées : pist.000675438, pist 000035147 ; Glock 23 3e génération, Colt Cobra .38 Special ; pist.00056893 ; Beretta 92FS Inox…
Et plus loin encore, toujours dans ces boîtes en bois, identiques et nomenclaturées, l’inventaire de tous les dessins d’enfants jamais dessinés : fran.tast123_978, par exemple.
Et plus loin encore, dans des boîtes plus grandes, mais toujours en bois et nomenclaturées, les neuf planètes du Système solaire : 1m, 2V…
Et encore plus bas, une rosace de cierges d’or de mille jours. On craquerait une allumette, on en allumerait un premier, puis il faudrait tous les enflammer avant qu’il ne se consume ; ce qui impliquerait une totale dévotion à la tâche et une certaine habileté, même dans la fatigue, afin de ne pas gâcher trop d’allumettes.
Et plus bas encore, il y aurait un océan placide dont les seuls remous seraient provoqués par la chute de notre corps et la nage erratique d’un dauphin dont — sans que l’on sache pourquoi — une partie du corps serait faite d’or massif.
Et, tout en bas, une armée d’immondices triturant de l’argile.

A propos de François Tastet

J’ai trente-deux ans et j’enseigne les sciences naturelles à Paris. J’ai grandi dans la région bordelaise, près de l’océan. C’est la discipline de fer dont j'habille ma pratique de l’écriture qui apaise mes démons, règle mes journées et me fait voir le beau. Pour écrire, il me faut : lire, aller au cinéma, marcher seul loin de la ville et savoir mon corps capable de mouvements compliqués. Certains de mes textes ont été édités dans des revues à très petit tirage. Je brouillonne dans des cahiers d’écoliers dont on peut consulter certaines pages ici https://cahierdetravauxpratiques.notion.site/Cahier-de-travaux-pratiques-v-2-711e5b0ec46f45889271102f9b69e8e8.

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