C’est, je crois dans la proposition 22, je cite : « au-delà… au-delà, le regard ne portait pas plus loin »
pourtant, au-delà des forêts coiffant le plateau, forêts de pins sylvestres mélangées de petits chênes, de charmes et de bouleaux dont l’une s’appelait « du charme boulerain », il y avait des friches ; quand on voit des friches, on pense l’infini, on croit que rien ne peut plus apparaître que ces étendues plates, plateaux, mesas, mesetas où croiser parfois un berger précédant un troupeaux de moutons en train de paître, porte-t-il un de ces bâtons à plateau appelé houlette servant de propulseur pour les cailloux lancés vers la bête qui s’écarte, en faisant un peu trop à sa tête, ou bien un fer arrondi apte à saisir selon courbure large ou serrée, soit le cou soit la patte d’une brebis lors des rassemblements en parcs pour besoins divers dans une vie d’éleveur, porte-t-elle houppelande ou limousine, aux épaules, cette silhouette entraperçue sur la friche où s’agite par grand vent d’est son grand parapluie noir ?
pourtant ce n’est pas fini, il existe un au-delà des friches que l’homme ne laisse pas longtemps – nous parlons en siècles – inoccupées, improductives, où ne croissent que graminées vite rôties de sec et de vent, buissons épineux, prunelliers auxquels le chemineau emplit sa musette des baies bleues qu’il suce au long de sa route, se délectant de leur âpreté, leur astringence, il existe un au-delà fait de terres cultivées, de labours exhibant au soleil, à la pluie ou au gel la nudité même du sol pauvre, où des tracteurs traînant de fortes charrues, brabants réversibles, de huit ou dix socs aux versoirs brillants comme un inoxydable acier, poncés, polis à chaque nouveau passage par les atomes argilo-calcaires donnant au sol l’astringence qu’il fait monter dans les prunelles.
plus loin encore, car le temps passe à fouler friches ou guérets, ces même champs – en apparence – sont en cours de récolte, des théories de moissonneuses et de remorques progressent comme à la parade, coupant tiges, battant épis, crachant grains, balles et pailles, emplissant remorques se déversant aux grilles des silos dont les tours blessent l’horizontale comme autant de Chartres sur la Beauce, d’où partent des camions pressés d’approvisionner les vastes minoteries, les Grands Moulins qu’actionnent des moteurs depuis que le Quichotte leur a brisé les ailes
au-delà, au-delà, il y a autre chose, on pénètre dans le monde du fer, des tuyaux énormes en rotation lente, tuyaux fours où se cuit le ciment qui construira les villes, il y faut des camions, de plus en plus, pour nourrir les fours, évacuer la poudre merveilleuse se prêtant au moulage en toutes formes imaginées par l’architecte, des barges, des péniches pour conduire ces tonnes de ciment vers les chantiers gourmands, monde du fer, des usines, structures simples de hangars, parallélépipèdes monotones, ou structures complexes, liées aux industries elles-mêmes, raffineries, colonnes, réacteurs ventrus, réservoirs, piscines colorées, hauts-fourneaux illuminant la nuit de leurs rougeurs inquiétantes, laminoirs en série, mines aux terrils montés à la surface comme volcans éteints aux formes parfaites
au-delà, au-delà, nous nous heurtons aux villes, aux murailles ou aux voies accueillantes au voyageur, source de travail, de richesse, cherchant où loger sa carcasse, repoussé aux périphéries, banlieues où procréer des villes nouvelles jusqu’à saturer l’espace, le contraignant à s’envoyer en l’air dans des tours sans limites ou à creuser son terrier plus bas, encore plus bas… mais ceci est une autre histoire.
Un au-delà, bien sûr, qui vaut bien un « en-dessous » ! J’aime tout, et cette chute qui nous laisse espérer un autre texte… vers le plus bas !
Merci Marlen, Perec semblait avoir tout dit des profondeurs, j’ai préféré l’horizon… pour l’instant JM