Je marche dans la rue Victor Hugo à Deauville, une longue et fine rue, un peu cachée, en parallèle avec le centre ville. Le petit parc d’en face du numéro 20 n’existe plus. Il n’y a pas de magasins, ni de cafés, ni de lieux où se retrouver. Tout se trouve dans la rue principale qui part de la gare de Trouville à la plage des Planches derrière l’hôtel Normandy. Je marche dans la rue Victor Hugo avec mon garçon sous un soleil de vingt-six degrés de juillet. Nous avons pris le train quelques heures auparavant de Paris Saint Lazare et là, en pleine semaine, nous marchons, maillots de bains sous nos vêtements, le long de cette rue en pensant que nous allons bientôt nous baigner. Ce mois de juillet est tellement plein de gris que lorsque j’ai vu le soleil surgir pour les deux prochains jours, je lui ai dit : « On s’en va la mer pour la journée » et on est parti. Des petites maisons se succèdent les unes après les autres, une banque a surgi au coin de la rue. C’est une rue calme, il n’y a rien de particulier qui puisse attirer l’oeil, tout se passe dans la rue principale. Mais à chaque fois que je viens par ici, je marche dans cette rue. Comment puis-je encore me rappeler si bien de cette adresse ?
Je vis dans la rue Victor Hugo à Deauville au numéro 20. Je suis petite fille et je n’ai que de brefs souvenirs. Un chewing-gum collé dans mes longs cheveux durant la nuit et qu’il faut couper le lendemain matin, les plats affreux de ma mère anglaise, pleins de gelées roses et mauves, le rat trouvé un matin dans le. petit jardin et surtout le petit parc en face de la petite maison avec son tourniquet. Ah, le tourniquet ! Des heures dessus à pousser le sol avec mes petits pieds puis à sauter dessus et me laisser tournoyer. Aucun souvenir de la mer, ni de l’école, ni de scènes de famille mais d’un cours de danse dont je n’ai jamais fait le spectacle de fin d’année car mes parents avaient déménagé, sans en tenir compte. Aucun souvenir réellement précis en dehors du petit parc, le tourniquet et cette adresse. Je me souviens, la première fois où je suis revenue à Deauville avec ma vie d’adulte, le numéro 20 de la rue Victor Hugo a rejailli en moi. Et sans savoir comment, mes pas m’avaient mené devant la petite maison. Et à chaque fois que je m’en vais là-bas voir l’océan, mes pas me ramènent devant la petite maison. Encore et toujours cette petite maison.