#anthologie #22 | rue du Taur

Rue du Taur 2023

La rue du Taur relie la place Saint-Sernin à la place du Capitole, en plein centre-ville. La place Saint-Sernin n’est plus un parking, elle est devenue piétonne, et le jardin autour de la cathédrale est désormais ouvert à tous. Le lycée est toujours là. Je n’y croise aucun élève. Ils sont probablement encours. à travers les barreaux, j’aperçois des poules dans la cours de l’établissement. Je me dirige vers la rue du Taur pensant y retrouver beaucoup. Rien n’a vraiment changé. Je passe devant le cabinet du psychiatre psychanalyste Ly. Quelqu’un a pris sa place, un psychologue clinicien. Derrière les volets clos, on vient encore y rencontrer sa parole.  D’une toute autre manière, c’est certain. Je me demande si ça encore la grotte dedans. Presque envie de prendre rendez-vous pour y jeter un oeil. Quelques odeurs me reviennent, celle de la porte, de la brique, et de la peinture, car monsieur Ly peignait dans ce qui servait de cuisine, entre deux consultations. Arrêté devant la plaque du nouveau praticien, d’étranges questions le viennent à l’esprit : l’ancien occupant des lieux a-t-il déjà fait l’amour ici ? Que faisait-il quand il s’ennuyait ? Quel livre a-t-il lu en attendant les patient en retard ? S’est-il déjà fait agresser ? Je réalise que la façade a été rénovée, des pavés mais tout est reconnaissable. J’avance de quelques pas. Le couloir menant à la cave poésie est toujours là. Je ne peux m’empêcher de pénétrer les lieux, de longer les affiches de quelques spectacles, arriver devant mon école. Elle est toujours là certes, mais la cour n’est plus accessible, comme mes souvenirs. Je ressors de l’antre et continue mon chemin. Le resto viet a changé de nom, ça a l’air toujours aussi mauvais. L’offre autour s’est diversifiée, toujours la crêperie du Sherpa avec les citations de Gide au mur, les mêmes verres, les mêmes couverts, le même gérant qui fait des allers-retours, les habituels kebabs et chawarmas mais désormais entouré de Burgers et Tacos. Je ne comprends pas pourquoi il y autant de Tacos. Je n’en avais jamais vu ni à Toulouse, ni en France, et ici, rue du Taur, j’en vois partout. Je ne rentrerai pas dans l’église Notre Dame du Taur. Je cherche rue des pénitents gris, une galerie de peinture qui aurait remplacée celle d’Henri Laffont mais rien. Je rentre à Gibert Joseph. Fournit,ur’s scolaires, cahiers de vacances, livre de cuisine. Il y a bien sûr un rayon littérature et des lycéens qui cherchent quelques bouquins de leur liste, mais pas le coeur pour chercher quoi que ce soit. Je commence à être de mauvaise humeur. La rue est bondée, le train touristique passe devant moi. La place du Capitole est écrasé par le soleil. Même si je suis venu sans aucune attente, j’attendais peut-être de retrouver quelque chose. Mais j’ignore l’enfant, l’adolescent, le jeune adulte que j’ai été, je le cherche dans la silhouette d’autres. Mais je me sens à l’étranger. Je n’ai rien à faire ici. 

Rue du Taur 1996

Je sèche. Je suis venu à l’heure pourtant mais pas envie d’y aller. En plus j’ai chimie. J’hésite un peu. Rentrer m’éviterait quelques problèmes. Mais je peux plus. De plus, depuis que tout le monde me tourne le dos, préfère aller errer. Je ne le fais pas par paresse, j’ai même un poids sur le ventre de ne pas m’y rendre. Je vois déjà les yeux de ma mère. Je me réfugie à l’église. Je m’y sens tout aussi coupable. Sentiment d’y être épié. Comment je vais me sortir de la merde dans laquelle je me suis mise. Je me suis grillée à jamais, auprès de tout le monde. Parce que tout le mode sait que j’ai menti. Même T. qui commençait à se rapprocher. T’as tout gâché ! Pourquoi tu mythones ? Pourquoi tu fais comme ton père ? J’ai envie d’aller lui demander des comptes ! Après tout c’est lui qui m’a montré l’exemple. Il a peut-être un patient qui s’est désisté. Au 3 de la rue du Taur, je sonne. « C’est moi, j’ai besoin de te parler ». Pas de réponse, mais le portail s’ouvre. Il doit être en consult. Je vais l’attendre dans la salle d’attente où un autre patient attend son tour. Il semble profondément gêné que je sois dans la même pièce. Je ressors. Je vais patienter au Sherpa. J’aime bien leur thé aux fruits rouges. Et puis y’a souvent d’autres étudiants à cette heure là, plus âgés, sûrement de fac, j’aime bien être parmi eux, réconforté par leurs voix, leurs bruits. J’aime bien les regarder à leur insu. Il y a des jolies filles parfois. Elles ont l’air si à l’aise. Je me demande comment on fait pour être ainsi. Pas de chance aujourd’hui, y’a personne dans la salle. C’est encore trop tôt. Je me demande pourquoi Cathy Nègre a fermé. Elle était antiquaire, juste en face. J’y allais parfois. Sa boutique, c’était comme entré dans un Trésor. Y’en avait partout. Difficile de s’y frayer une chemin. Des meubles très anciens, des objets en bronze, en argent, en or dont j’ignorais l’utilisation mais qui me fascinaient tant ils semblaient venir d’un monde fictif. Je passe à Gibert. Je tourne autour du rayon poésie. J’en vole un. Je ne connais même pas l’auteur. Je le vole sans aucune raison, pour le léger frisson que ça me procure. Et encore, je ne suis même pas sûr. Je sors rapidement et disparais derrière la porte de notre dame du Taur. Je m’assois et lis derrière quelqu’un qui prie. Je crois qu’il pleure. J’ouvre le livre sans même consulter la couverture : « Tout le secret du bonheur du Contemplateur est dans son refus de considérer comme un mal l’envahissement de sa personnalité par les choses. » Pas sûr de comprendre, pas sûr de savoir si c’est à moi qu’il parle, ce… Francis Ponge… le parti pris des choses. Je demanderais à papa s’il connait. Il a peut-être fini la consultation. Mais que pourrais-je lui dire ? Et puis il va se demander pourquoi je suis pas en cours. Comme il ne connait rien de mon emploi du temps, je trouverai une excuse. En face de l’église, j’aperçois la galerie d’Henri Laffont. Elle est fermée. Je vois des peintures de Chaumier. Deux natures mortes, une vue de Venise. Et des tableaux à mon père. Je les trouve très beau. J’en suis fier. J’aimerais dire au passant qu’il s’agit de mon père. Sur la porte, une présentation des artistes. On dit qu’il est un artsite « fino-vietnamien ». Sino ! Pas Fino ! et puis je comprends pas en quoi c’est nécéssaire de préciser d’où il vient. Moi j’en ai marre de venir d’où je viens. J’ai faim, c’est bientôt la pause déjeuner. Y’a peut-être Tessa qui va sortir. Elle va souvent manger un Chawarma. Et si j’y allais avant. Oui, organiser une rencontre impromptue. C’est une bonne idée, si elle est seule, elle daignera peut-être me parler. Quel mensonge vais-je bien pouvoir lui inventer pour le sortir de mon mensonge précédent.

A propos de Anh Mat

Né en 1982 à Toulouse. 24 ans après, départ pour Saigon où je vis et écris. Errances littéraires et audiovisuelles sur le web depuis 2013. « Il y a quelqu’un », nouvelle (revue nerval) « Monsieur M », roman (publie.net) « cartes postales de la Chine ancienne »,poésie (éditions Qazaq) « Retour sur soi » éditions Qazaq » « au sujet de la vidéoécriture » (revue Oeuvres ouvertes) « Người nước ngoài » revue Dires résidence numérique sur Glossolalies.net, programmé au festival « extra LittéraTube », Beaubourg contributeur régulier chez « les cosaques des frontières » anime le site www.lesnuitsechouees.com

3 commentaires à propos de “#anthologie #22 | rue du Taur”

  1. Méandre de souvenirs qu’on suit à toute allure. Vitesse donnée par ces phrases courtes. Plaisir de marcher avec vous dans ces rues, d’y retrouver rue du Taur, Saint Sernin, le Sherpa (tiens, existe encore), d’y découvrir des strates inconnues, des ramifications seulement vôtres, des portes fermées ou à ouvrir.

  2. J’aime la révélation, ou l’éclairage, que la deuxième partie donne à la première, où la distanciation d’avec son propre passé rend plus fort encore le plongeon dans les souvenirs et l’inconfort de l’adolescence.

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