#anthologie #22 | impasse de ville

EN VRAI

Il faut aller doucement, ou connaître. La départementale descend légèrement quand on arrive du département voisin. Il est difficile de repérer l’entrée, on voit à peine le petit pont de pierre qui enjambe le ruisseau. Il n’y a pas de panneau. Et il vaut mieux regarder derrière soi qu’une voiture ne double pas malgré le clignotant. Le repère pourtant est clair, c’est la tour carrée. L’hiver, on la voit bien. L’été aussi mais il faut savoir qu’elle est là, regarder au-dessus de la canopée.

Une fois qu’on a pris le petit pont de pierre (je ne peux pas le dire autrement, même si, depuis plusieurs années le parapet est de ciment), il suffit de suivre le chemin, cabossé, aux ornières régulièrement remplies de gravier ou de tout venant. Il ne faut pas entrer dans la cour mais contourner la bâtisse, laisser le mur sur sa droite et s’engager dans l’impasse. Ce qui la clôt, c’est la rivière que plus personne ne traverse.

On peut se garer là, dans le chemin et entrer par la porte qui donne directement dans le salon, une porte en bois et en verre dépoli. On peut aussi aller un peu plus loin et se garer au clos, entre le jardin et la rivière et entrer par le jardin.

C’est ce que je vous conseille. De là, on voit sur la droite la montée de grange, une sorte de parc floral étroit et dense, les baies vitrées sur les deux faces, la face sud et la face ouest et sur les deux étages. Au fond du jardin, il y a un long et haut mur, celui de l’ancienne réserve à foin. Le sommet de la tour semble posé sur le toit en tôles ondulées. Sur la gauche, un potager est entretenu derrière une haie fleurie. Un tuyau serpente dans l’herbe, amenant l’eau de la rivière. On peut entrer par la cuisine aménagée sous la montée de grange ou bien monter au premier et entrer par l’ancienne porte de grange, aujourd’hui vitrée. 

Il doit y avoir un vieil homme quelque part, assis dans un fauteuil sous l’érable, au premier dans le fauteuil rouge à regarder les mésanges ou en bas, devant la télé s’il y a le Tour de France, du foot, ou du rugby. Il doit y avoir une vieille dame aussi qui se lève lorsque le chien aboie et s’approche vivement tant elle est joyeuse

EN SOUVENIR

Quand on franchissait le petit pont de pierre, on arrivait dans un autre monde. Mon père arrêtait la voiture, et on descendait, la chienne et nous, et on courait jusqu’à la cour. Pendant que mon père se garait puis vidait la voiture avec ma mère, on disait bonjour à tout le monde, Thérèse arrivait en essuyant ses mains sur son tablier, Pierrot relevait son béret et se grattait la tête en souriant. On passait à droite de chez Thérèse pour traverser le bâtiment par la cave et ressortir dans le jardin. Là, on montait les escaliers de pierre. Nous habitions au second pour les vacances, tante Rosa au premier.

Depuis le jardin, on voyait la tour dont le sommet semblait posé sur le toit en tôles ondulées. L’entrée dans l’écurie se faisait par la façade ouest. Des rateliers sont au mur où l’on jetait du foin depuis une trappe lorsqu’il y avait encore une paire de vaches. Quand nous venions, il y avait longtemps qu’aucune bête n’y dormait. Au centre de l’écurie, une traction avant sans moteur nous donnait l’impression d’être dans un film. La façade sud est aveugle. Le mur de pierre monte sans ouverture jusqu’au toit. La montée de grange à laquelle on accède depuis le chemin se ferme par une haute porte en bois qui permettait de rentrer une remorque de foin ou de paille. Sous la montée de grange, il y avait une souillarde ou était nourri le cochon de l’année. Dans la grange, il y avait une vieille remorque et des restes de foin au sol. Nous avions l’interdiction d’y jouer. 

On s’en moquait car au fond de l’impasse il y avait la rivière au son de laquelle on pouvait dire si elle était grosse ou pas, si on pouvait s’y baigner ou, parce que nous étions encore loin des eaux confuses de septembre, s’il faudrait faire un barrage avec des pierres et des branches pour qu’une retenue d’eau soit suffisante pour, qu’assis, on ait de l’eau jusqu’au ventre. Pour traverser sans se mouiller, il y avait la planche, une sorte de pont suspendu, fait, contrairement à ce que pouvait laisser penser son appellation, de plusieurs planches clouées entre elles. La planche était bancale mais à six, sept, douze, seize ans, on la traversait en courant. Mais le mieux, c’était de traverser sur la remorque ou encore mieux, sur le tracteur, lorsque Pierrot allait chercher le maïs pour les vaches, de l’autre côté de la rivière.

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