#anthologie #21 | Annotations


Dans la boutique d’une aire d’autoroute, quelque part en France(1). Il est tard dans l’après-midi, l’endroit est relativement calme. J’entre, fatiguée après plusieurs heures de route, j’ai besoin d’un café , de quelque chose à grignoter(2). Devant moi à la machine à café, une dame brune, les cheveux mi-longs, vêtue de manière décontractée(3), attend que sa boisson finisse de couler. Comme si elle sentait ma présence et qu’elle voulait s’excuser de me faire attendre, elle se retourne légèrement, je découvre son profil, je la reconnais tout de suite, c’est elle : Chantal Akerman. Mon coeur s’emballe, mes jambes flageolent (4), j’hésite, je ne veux surtout pas l’importuner mais échanger quelques mots avec elle me ferait tant plaisir. Elle récupère sa boisson, se retourne, me sourit, (5) me laisse la place devant l’écran, je lui souris, je prend mon courage à deux mains, je me lance:

Moi : Excusez-moi, êtes-vous Chantal Akerman ?(6)

Chantal Akerman : Oui, c’est moi. Je ne m’attendais pas à être reconnue ici, vous êtes cinéphile ? 

Moi : (enthousiaste) Absolument. J’admire beaucoup votre travail. « Jeanne Dielman » a été une révélation pour moi (7). Votre manière de capturer le quotidien, d’ausculter la féminité, d’explorer le temps et l’espace, votre radicalité, je vous assure que découvrir Jeanne Dielman a été un choc pour moi, il y a eu un avant et un après. 

Chantal Akerman : Merci. C’est toujours agréable de rencontrer quelqu’un qui apprécie et comprend mon travail. (silence) Que faites-vous sur cette aire d’autoroute?(8)

ANNOTATIONS

1 C’était sur l’autoroute A6 en dessous de Lyon. Chantal Akerman allait au festival de Lussas en Ardèche, je rejoignais mon amie Albane à Grenoble, nous avions une semaine de résidence pour finir de répéter notre spectacle autour des Couleurs, le dernier dimanche de la résidence nous le présenterons à toute l’équipe du Lieu 
Je me souviens que j’avais une envie irrépressible de chocolat et comme je m’endormais au volant, je pensais que le chocolat me donnerait un coup de fouet.
Elle portait un jean noir, une chemise bleu canard ouverte sur un t-shirt bleu roi, un foulard jaune bouton d’or autour du cou. Elle était en basket,
J’ai réellement cru que j’allais m’évanouir d’ailleurs cette crainte, (cette peur) augmentait mon malaise.
5
 Son sourire était large, généreux, évident.
J’ai été surprise par l’intonation de ma voix, elle montait dans les aiguës et en même temps j’avais l’impression d’étouffer.
7
La première fois que j’ai vu Jeanne Dielman au cinéma, nous étions 5 dans la salle c’était à la séance de 11h au Lucernaire. 
8
Cette question simple m’a beaucoup touchée. Elle s’intéressait à mon présent.

A propos de Cécile Bouillot

Bonjour je suis comédienne. Je développe également des projets vidéos dans lesquels je filme les gens autour d'une même question. J'écris des poèmes de rue a partir de phrases récoltées dans la rue, j'aime m'amuser avec différents jeux d'écriture, j'écris régulièrement depuis deux ans. Acte 2 Scène 2. Chaine Youtube : https://www.youtube.com/user/cecilebouillot

Un commentaire à propos de “#anthologie #21 | Annotations”

  1. Un grand merci pour avoir écrit cette rencontre. Je suis aussi une grande admiratrice des films de Chantal Akerman et Jeanne Dielman.
    Je n’avais pas lu le texte initial, celui-là est touchant et dit la simplicité de la rencontre et de l’échange. Coup de cœur pour la note 8 !