#anthologie #21 | voiture à pédales (2)

Il ne me reste plus que cette photo de toi, plus quelques autres, mais surtout celle-là. Elle était dans l’album, chez toi, à côté des K7 (1).

Tu es sur ta voiture à pédales (2), le bras dans le plâtre. Plus tard, tu me reprocherais de te l’avoir cassé (3). C’est certainement Jean-Louis qui a pris cette photo. Ou peut-être plutôt Christine. Qui d’autre, de toute façon ? (4) Tu souris. Tu souris comme un enfant dans une voiture à pédales. Derrière toi, il y a les graviers ; ceux que je jetterais contre tes volets pour te désengluer de ton sommeil d’adolescent (5). Derrière encore, le cyprès (8) autour duquel on s’attacherait.

Je me demande si parfois, tu penses à cette voiture.

Je la revois pendue là, dans le labyrinthe de ton garage (10) ; cassée, elle aussi.

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(1) Je ne suis pas certain de l’emplacement, mais connaissant sa maison presque par cœur, j’ai l’impression que cet album — marron ? — ne pourrait être ailleurs.

(2) Elle mimait un kart. Il y avait un gros nombre sur le devant, jaune, je crois. J’aimerais me souvenir de ce nombre.

(3) Dans un de ces moments où, après avoir passé presque deux mois ensemble, une tension se créait sans que l’on puisse, à l’époque, l’expliquer. Nous étions simplement tristes de nous quitter et c’est la forme que prenait cette tristesse.

(4) C’est vrai qu’il n’y avait pas grand monde qui gravitait autour de lui. Peu (pas) d’amis, peu de famille. J’ai juste en tête un grand-père espagnol, que j’associe — sans trop savoir pourquoi — à un valet de pique. Une histoire de jeu de cartes qu’il lui avait enseigné peut-être ?

(5) Christine dormait jusqu’en début d’après-midi à cause de ses médicaments. Plus jeune que lui de deux (?) (6) ans, je dormais bien et avais de l’énergie à revendre dès tôt le matin, après les dessins animés.

(6) Je réalise que je ne sais plus son âge exact. C’était mon aîné et son anniversaire était en janvier (~). Deux ans, c’est un quart de vie lorsqu’on a huit ans ; bien moins (7) lorsqu’on en a 30.

(7) 1/15.

(8) J’ai vérifié via Google Street View. Pincements de reconnaître toutes les craquelures du bêton sur le trottoir, le rouge de la bouche d’incendie (9), les piques de la clôture que nous avions aidé Jean-Louis à repeindre.

(9) Je me souviens aussi de l’ancienne, rouge également, mais petite et rouillée. Une tache de bleu quelque part, apparue plus tard, et un bout de ficelle autour de l’une des deux oreilles.

(10) Au sol, une image imprimée sur du carton où il avait recueilli un hérisson. Des traces de merde dessus. C’était aussi là que les boules de pétanque étaient entreposées (11). Souvenir également d’un calendrier utilisé pour attiser les flammes du barbecue.

(12) rouillées. Jean-Louis faisait des étincelles en les entrechoquant. Le gravier rouge du terrain de boules où nous faisions des cercles ; avec pour compas, nos vélos.

A propos de François Tastet

J’ai trente-deux ans et j’enseigne les sciences naturelles à Paris. J’ai grandi dans la région bordelaise, près de l’océan. C’est la discipline de fer dont j'habille ma pratique de l’écriture qui apaise mes démons, règle mes journées et me fait voir le beau. Pour écrire, il me faut : lire, aller au cinéma, marcher seul loin de la ville et savoir mon corps capable de mouvements compliqués. Certains de mes textes ont été édités dans des revues à très petit tirage. Je brouillonne dans des cahiers d’écoliers dont on peut consulter certaines pages ici https://cahierdetravauxpratiques.notion.site/Cahier-de-travaux-pratiques-v-2-711e5b0ec46f45889271102f9b69e8e8.

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