#anthologie #21 | Questionnement.

Et, tu es encore amoureuse ? mais oui bien sûr répondez-vous avec aplomb. Non mais quelle question ! comment ose t-elle vous la posez ? si je suis encore amoureuse…

NOTE 1 : Comment cette question m’est venue ? Dès le début dans mon esprit ou peut-être après avoir tergiversé autour de plusieurs questions. Quoi qu’il en soit, cette question de l’amour me revient en boucle parce que c’est ce que j’ai trouvé de mieux dans cette vie et que cela prend une place immense dans mon existence si ce n’est pas mon existence même qui tourne autour de cette question. Quoi qu’il en soit, ce jour-là, j’étais avec une amie, toutes deux assises, dans un café du 11ème arrondissement à Paris. Nous ne nous étions pas vues depuis longtemps et échangions des nouvelles, lorsque surgissant de nulle part, elle m’a posé cette fameuse question, et tu es encore amoureuse ?. J’entends encore en moi mon silence. Non pas exactement un silence… j’ai répondu promptement un oui et le silence est venu après, pareil à une première goutte de pluie qui tombe sur une table en fer, comme un silence qui fait du bruit. J’ai entendu la question résonner en moi et j’ai senti un silence se faire. Ai-je ri bêtement ? oui, je pense que j’ai eu un hoquet un peu stupide. Puis, je me suis reprise et j’ai confirmé le oui encore une fois comme s’il me fallait absolument y croire et la convaincre. C’était je l’avoue un peu étrange et je me suis demandé par la suite, si je pensais encore mon histoire en ces termes.

encore amoureuse….mais oui…cela va de soi…

NOTE 2 : Mais non bien entendu que cela ne va pas de soi, c’est quelque chose qui se travaille tous les jours, toutes les heures. Quelque chose qui peut se faire et se défaire pour de multiples raisons et qu’il faut remettre sur le tapis ou sur la table, régulièrement. Je m’énerve toujours un peu quand on me dit que j’ai de la chance que cela va de soi pour nous parce que non, ce n’est pas vrai, ce n’est pas une question de chance ou d’évidence, c’est encore et toujours une interrogation, une recherche, un ressassement.

combien d’années maintenant ? Presque une trentaine, donc comment en douter ?

NOTE 3 : le nombre d’années ne veut rien dire. Je pense que l’on peut aimer aussi fort en quelques jours qu’en des années. Je connais également pleins de gens qui vivent longtemps ensemble sans s’aimer. Toujours mettre en doute, ré-interroger.

vraiment amoureuse…oui…mais c’est-à-dire ? Comment cela, c’est-à-dire ? C’est à dire…comme…amoureuse…je l’aime, il m’aime, on vit ensemble, un point c’est tout…oui mais amoureuse encore ?

NOTE 4 : la voilà, la question difficile. C’est comment encore ?

encore…mais oui…je le regarde et je l’aime…je l’aime…je le connais…je le connais si bien…on pense encore les mêmes choses en même temps…je le connais…je sais lorsqu’il rentre…je reconnais son pas dans l’escalier…j’aime quand il rentre…je le connais…je reconnais son humeur…je sais ce qu’il a…je sais si ça va…

NOTE 5 : J’ai écris ces mots dans leur banalité mais c’est cette banalité qui respire l’amour. Quand on continue de penser la même chose en même temps et que l’on éclate de rire parce que cela nous émerveille ; qu’on se raconte qu’on est connectés. Peut-être que l’on se raconte des histoires et que cela nous rassure, mais cela n’est pas grave, c’est ce que l’on vit. Cela me rappelle qu’il y a quelque années de cela, alors que j’étais célibataire et que je ne pouvais même pas envisager de vivre une histoire avec le même homme ne serait-ce qu’une semaine d’affilée, j’ai un ami qui m’avait dit que c’était dans le détail du quotidien que les choses étaient belles et avaient un sens. Je n’avais pas compris à l’époque ce qu’il avait voulu me dire mais peut-être qu’aujourd’hui, j’arrive mieux à saisir. J’aime ces choses qui nous sont dites et que l’on croit comprendre mais en réalité, on n’a fait que les entendre pour ne les ressentir que beaucoup plus tard.

amoureuse encore ? Mais enfin pourquoi vous insistez ? Oui amoureuse encore, amoureuse tous les jours. Comme au premier jour ? Non mais…bien sur que non mais…différemment…

NOTE 6 : Bien sûr, différemment. Les premiers jours sont une combinaison de désirs, d’inconnu, d’hormones, d’aveuglement, ô combien géniaux et qui nous pousse constamment à tenter d’aller chercher ces sensations encore et toujours. Mais le long terme a quelque chose d’autre comme parfois de l’étonnement ou de la joie de voir la personne si connue si aimée et de sentir qu’on l’aime encore. C’est presqu’un miracle (bien que je ne crois pas aux miracles.) ces petits moments où une tendresse vous envahit au moment où vous vous regardez au détour d’un rien et qu’un sentiment de je ne sais quoi se fait, un truc qui chamboule le quotidien avant d’y retourner.

mais pourquoi me demande t-elle tout cela ? Serait-elle en train de savoir si je vais rester avec lui ? Aurait-elle envie d’être avec lui ? Mais non, ce n’est pas possible vous dites-vous, c’est votre amie, pourquoi aurait-elle ce genre de pensées. Et lui, jamais il ne serait intéressé, c’est vous qu’il aime. Jamais il ne la regarderait même si vous n’étiez plus ensemble.

NOTE 7 : Je ne sais pas à qui j’ai pensé en écrivant cela, sans doute à personne mais il m’arrive parfois de penser qu’une de mes amies pourrait être amoureuse de lui.

Et de toute façon, c’est vous qu’il aime. Il vous aime…encore…oui…il vous aime et vous vous l’aimez…pas comme au tout début…mais autrement…est-ce que vous l’aimez ? oui…et quelle sensation cela vous fait ? Je l’aime lui avez-vous rétorqué… mais alors pourquoi cette hésitation, cette petite gêne ? l’aimer…encore…non pas une hésitation … comme une hésitation sur le fait de l’aimer … vous avez ressenti un silence en vous face à la question posée. Qu’est-ce que ce mot aimer vous a fait ? Est-ce sa franchise ? Son ambiguïté ? Est-ce que la question pourrait continuer avec une autre ? L’aimez-vous encore oui mais comment ? …. Non, l’hésitation est venu avec la surprise de la question. Pourquoi vous l’a t’on demandé alors que cela fait si longtemps, ne serait-ce pas une évidence ? Et pourquoi avez-vous senti un je ne sais quoi, comme si vous étiez gênée ? Ne savez-vous pas ce que vous ressentez ?

NOTE 8 : oui c’est cela. En écrivant cela, je me suis demandé la sensation de ce mot aimer. Quelle était encore ma sensation ? Il était tellement difficile de dire ce qu’est cette sensation. Où la ressent-on vraiment ? Quand ? Comment ? Y a t’il une réalité à cela ou est ce quelque chose qui est en nous, qui nous tient, que l’on vit comme une évidence mais comment savoir si on ne se quitte pas ? Et pourquoi avais-je eu un sentiment de gêne ? Peut-être que la gêne était une forme de pudeur ou de désarroi face à la question ? Peut-être que cette question est incongrue et la réponse tout autant. Ou peut-être que l’autre vous la pose pour être certaine que cela existe, d’aimer encore ?

Si mais cet amour…il est à vous…comment en parler…après tant d’années…comment vous l’aimez mais quel intérêt…l’aimez-vous encore…oui, plus que jamais.

NOTE 9 : oui, parfois les mots sont inutiles non ? mais quelle beauté d’en parler, de s’interroger, d’écrire aussi, d’écrire sur cela.

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.

4 commentaires à propos de “#anthologie #21 | Questionnement.”

  1. J’aime beaucoup (je parle du texte, même si c’est aussi le cas dans la vie en général…). Comme des cercles qu’on fait dans l’eau et qui avancent dans le courant (ou à cause du vent ou un truc comme ça). J’aime beaucoup cette réflexion sous formes de notes successives qui font croire qu’on peut parler de ça en rédigeant des post-it à la suite les uns des autres. C’est comme ça que je l’ai ressenti. Merci Clarence.

  2. Quelle merveille ce texte, oui « quelle beauté d’écrire sur cela », comme un moment de soleil, et des belles trouvailles aussi « pareil à une première goutte de pluie qui tombe sur une table en fer, comme un silence qui fait du bruit ». Merci

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