#anthologie #21 | notes de retour

Notre bateau1 va enfin toucher au but son balancement son roulis sa vitesse ralentissant considérablement à l’approche de Sanlucar2 J’entends le claquement des voiles dans le soir tombant les secousses dues aux manœuvres de l’équipage3 lentement la nuit s’installe sur la côte que je devine Je suis monté sur le pont pour m’assurer que je ne me suis pas trompé que cette fois c’est la bonne nous allons bientôt toucher terre Enfin le bateau qui nous ramène des déserts lointains4 a tenu bon Je n’arrive pas à distinguer la côte la mer étale couleur d’encre profonde la végétation sèche en cette période de l’année tout ce confond dans la nuit noire La force me manque Mes yeux mon front se contractent pour discerner les rives pour retrouver les signes de ma ville Remonter le fleuve le grand fleuve le Guadalquivir5 se couler dans ses eaux larges aborder les zones marécageuses de Doña Ana6 sentir les échassiers trempant leur long bec dans les eaux saumâtres à la recherche de nourriture Les images de mon départ pour le Vice-royaume de Santa Fe7 me reviennent par vague par vaguelette mon corps est épuisé je ne vois rien Au loin je devine l’entrée de la ville andalouse gardée par la sentinelle trapue de la Tour de l’or8 Petite lumière qui clignote telle un phare dans l’océan de malheurs que je viens de traverser Je reviens ma ville tel l’antique Caron conduisant sa barque des morts9 jusque sous le pont de Triana

  1. Combien de fois, je l’ai vu tangué et je nous ai vus dans la tempête sur le point de couler.
  2. Sanlucar, porte d’entrée au Royaume d’Espagne.
  3. Notre équipage se compose maintenant du capitaine et de ses deux seconds, les Indiens rameurs sont tous morts pendant la remontée de l’Amazone, ces malheureux n’ont pas supporté la dureté de notre périple.
  4. Ce qu’on appellera bien plus tard l’Amazonie, terre sans habitants, si ce n’est que des sauvages.
  5. Le nom de Guadalquivir, hérité de l’occupation de Al-Andalus par les Maures.
  6. Le parc de Doña Ana, havre pour les oiseaux migrateurs… aujourd’hui condamné à la pollution par l’agriculture intensive.
  7. Aujourd’hui la Colombie avec pour capitale Santa Fe de Bogotá.
  8. Comme son nom l’indique, elle était le coffre-fort des  pillages des Indes occidentales. 
  9. Ce voyage qui a duré cinq mois a vu la mort d’une grande partie de l’équipage, la mort de trois de mes filles, les plus jeunes, et ma femme a perdu la raison. 

Laisser un commentaire