Jérusalem oh Jérusalem (1) & (bis)
Sur la pente douce les pavés érodés de la ruelle millénaire murmurent les échos d’histoires (2), de batailles, de prières, dans le ciel rougi l’ombre des minarets des clochers, témoins- silence d’une paix fragile et d’une guerre perpétuelle, ballet incessant de vie et de mort ; leurs pas résonnent ils portent la croix pour mieux comprendre leur douleur ou mieux la soulager une station après l’autre, espoirs et désillusions, âme errantes en recherche de rédemption ou d’oubli elles se heurtent et se mêlent comme les vagues déferlantes d’une mer agitée Au bout de l’allée près de la porte de l’esplanade des soldats armés, ne pas dépasser les limites les siennes celles de l’autre les univers d’une humanité blessée se chevauchent, une toile invisible de souffrances partagées se tisse…
Les marchés s’éteignent en désordre leurs cris et leurs couleurs s’effacent les odeurs d’épices se dissipent dans l’air frais que mille langues chuchotent, promesses d’un renouveau un cri silencieux pour la paix (3)
Immobile le mur des lamentations vestige imposant aux mille histoires, fissures cimentés de vœux pieux griffonnés, cicatrices de poussière d’or au soleil couchant quand se déplacent de longues ombres mélancoliques (4)
(1) 4000 ans déjà Shalom, Salam, Bonjour
(bis) sur le Mont des Oliviers Jaball al-Zaytoun en arabe, Har Ha Zeitim en hébreu , devant moi Jérusalem le soleil couchant… la plaine fertile et la Méditerranée, derrière moi le soleil levant… le désert à perte de vue, la Mer Morte. Un berger une graine de l’eau beaucoup d’eau du soleil et beaucoup de soleil de la chance. Pourtant situé à l’écart des routes commerciales… j’ai tout vu tout vécu tout observé
(2) Ce n’est qu’une petite cité là, tapie , presque cachée une cité cananéenne insignifiante, oui une ville qui se perd, se fond dans les collines cernée par le désert et les montagnes. Jérusalem non pas encore Jérusalem. Une ville à peine, une bourgade de l’âge du bronze une ville comme tant d’autres où rien ne semble vouloir se passer, où l’histoire n’a pas encore posé son regard, où le temps flotte ne sachant s’il doit rester ou s’en aller
Les palmiers de la vallée du Nil, eux ils ont vu, ils ont senti, ils savent plus que moi, je ne suis qu’un jeune arbre, une pousse fragile à peine enracinée dans cette terre que les pharaons dominent de leur ombre lointaine. Là-bas dans cette ville des scribes écrivent, ils tracent gravent des tablettes des inscriptions mais quoi ? Le quotidien seulement le quotidien rien d’autre. Et pourtant il y a ces tribus errantes les qui rôdent menacent, les Habirus peut-être ancêtres de ceux qui viendront plus tard, les hébreux.
Et moi je suis là, une simple tige, une existence à peine perceptible. Un mouton passe murmure quelque chose à peine un souffle, il parle de Jéricho, de Nabi Moussa, Moïse? oui peut-être. Et puis il y a cette idée ce nom Salomon fils de David, il est là quelque part dans l’air dans le futur il marquera cette terre il élèvera un temple sur des fondations cananéennes, sur la colline d’Ophel. Cela arrivera cela doit arriver.
Un temple : Sanctifié. Profané. Restauré. Détruit. Reconstruit. Le mot résonne tourne revient. Ce temple pivot, centre, point autour duquel tout gravite, tout s’effondre se reconstruit. Les siècles passent mais le Sultan Souleiman lui, fera graver l’étoile à six branches, étoile de David dit-on, mais est-ce vraiment celle-là ? Une étoile seulement une étoile. La huppe cet oiseau parle, elle parle à Soliman elle murmure des mots en langues des oiseaux et l’histoire se tisse, se tresse et se retresse. Jérusalem maintenant cosmopolite prospère
Mais, Nabuchodonosor… son souvenir pèse, il hante reste là caché tapi sous la surface il a détruit le temple, oui mais ensuite Cyrus, Cyrus le Perse viendra et la ville renaîtra pour encore deux siècles de paix ; et les Maccabées, les lumières, Hanoucca. Les centaines d’années passent. Deux siècles de christianisme quatre et demis d’Islam, les croisades ; et moi toujours là mes branches frémissent les enfants grimpent rient récoltent les olives vertes deviennent violettes puis noires. Des sièges toujours encore des sièges : Saint-Louis, les Mongols, les Mamelouks, les Ottomans, Napoléon. Ce bruit ce mouvement
Bâle 1897 Herzl Sion Jérusalem la ville elle est là face à lui, une ville deux mille ans d’inhumanité. Le sionisme, la mixité, l’heure, c’est l’heure ; Balfour 1917 une promesse un bout de Palestine et alors ? Alors les désaccords les conflits Jérusalem encore elle, cette capitale impossible, paradoxale
Et moi maintenant avec mes branches, je regarde je pense à quoi ressemblera Jérusalem dans cinquante ans, je ne sais pas personne ne sait ; une ville-musée parc d’attractions rétro-futuriste en réalité augmentée, une capitale universelle neutre siège de l’ONU, le Mont des Oliviers, un désert ou bien une capitale à deux états partagée non divisée, allez savoir, qui peut savoir ?
(3) Les ruelles vides l’air devient léger la peur évaporée tout devient possible même l’impossible paix le temps hésite suspendu
(4) Les silhouettes noires des religieux se pressent contre le mur leurs ombres se perdent dans la pierre, ils murmurent, balancent se replient sur eux-mêmes leurs voix se heurtent se brisent se dissipent, un mouvement infini éternel ancré dans ce mur qui garde tout et ne dit rien