#anthologie #21 À l’usine (extrait avec notes)

Un portail arborant un ruban de fer (1) TREFILERIE (2) CABLERIE (3) (4). Pourquoi pas « Arbeit macht frei » ? Le travail-émancipation, le travail-libération, le travail-délivrance… Garer son vélo parmi tant d’autres, fermer l’antivol, glisser la clé dans sa poche, vérifier qu’elle y est bien, marcher dans la rue principale de l’usine, vers les bâtiments de la direction. Pensant encore à l’enseigne de l’entrée, s’interrogeant.

Et, tout de suite, l’horodateur. Queue d’ouvriers, piétinements inquiets devant la machine tamponnant, perforant les cartes de présence « tiquetic, tiquetic, vitevite, vitevite, avant la sonnerie de relève des équipes de nuit. Être à l’heure, une obsession. Croiser des hommes, des hommes surtout, achevant une cigarette, sommeillant encore de leurs yeux rougis du trop peu de sommeil ou d’un trop d’alcool du matin (5). Poignée de main des connaissances, clin d’œil d’un dragueur.

Vestiaire des femmes, armoire métallique, bleu de travail, chaussures de sécurité. Souriant dans l’atelier « des 2 brins » (6), souriant d’avoir du travail de corps, souriant de ses cuisses, de son dos, de ses bras, de ses mains, aux ordres de sa tête. Savoir soulever, porter, enfiler sur le dévidoir des écheveaux de fil de fer de 30 kg. Connaissant le montage, le chemin des brins dans sa bécane, et faire des canettes de 25 m. Ne pas oublier de remettre le compteur à zéro. Surtout pas !

(…)

  1. En vérité, je ne me souviens pas bien de ce portail. Était-il vraiment en fer forgé ? Pourquoi cette allusion aux enseignes d’entrée des camps de concentration nazis ? Il y a une raison personnelle. Mon père, alors dans le maquis de l’Ain et du Haut Jura, s’est caché dans cette usine. Le directeur de l’époque était Jacques Lhérault, membre aussi du maquis. Mon père occupait le poste de chronométreur. Je suppose qu’il observait les différentes étapes des processus de production pour déterminer le temps nécessaire à chaque tâche… Mon inconscient fait émerger des souvenirs de la guerre 39-45.
  2. Le terme « tréfilerie » désigne une usine ou un atelier où se déroule le processus de fabrication des fils métalliques. Dans une tréfilerie, l’acier arrive généralement sous forme de fil machine ou de barres de laminage. Le fil machine est une bobine d’acier qui a été laminée* à chaud pour obtenir un diamètre relativement gros. Cette bobine est ensuite refroidie et enroulée pour être envoyée à la tréfilerie. Parfois, l’acier arrive sous forme de barres laminées à chaud qui sont ensuite transformées en fils par des procédés de laminage et de tréfilage successifs. Le tréfilage est un processus où le fil machine est tiré à travers une série de filières pour réduire progressivement son diamètre et augmenter sa longueur, améliorant ainsi ses propriétés mécaniques et sa finition de surface. J’ignore sous quelle forme l’acier arrivait à la Tréfilerie Câblerie de Bourg en Bresse. * Le laminage est un processus industriel utilisé pour façonner des métaux. Il consiste à comprimer le matériau entre des rouleaux afin de le rendre plus mince. Le laminage est largement utilisé dans la production de feuilles métalliques, de plaques, de profilés et de nombreux autres produits métallurgiques.
  3. Dans une câblerie on fabrique des câbles en torsadant des fils d’acier dans des machines appelées câbleuses.
  4. La Tréfilerie Câblerie de Bourg en Bresse est née en 1906, fondée par Ernest Chaudouet. Rachetée par le groupe Arcelor Mittal à la fin des années 90, son savoir-faire est reconnu dans le monde entier. ArcelorMittal Wire Solutions exploite l’usine, qui fait partie de la division de tréfilage de l’entreprise. Cette usine est spécialisée dans la fabrication de câbles en acier de haute technologie, destinés à diverses industries, notamment l’exploitation minière, le levage et la manutention, les structures, les téléphériques, les stations de ski et l’amarrage en mer. L’usine bénéficie également de la haute qualité métallurgique assurée par les processus modernes de fabrication de l’acier, garantissant une qualité optimale de ses fils d’acier grâce au soutien complet du groupe Arcelor Mittal​.
  5. L’entrée de l’usine était et est toujours au 25 de l’avenue de Lyon. J’ai travaillé dans cette usine en 1967. Sur l’avenue il y avait un bar tous les vingt mètres. Je présume que depuis beaucoup ont fermé.
  6. Un câble « deux brins » est composé de deux fils d’acier torsadés. Pour faire des câbles de plus gros diamètre, on torsade des « deux brins ». On obtient des « quatre brins », etc.

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A propos de Emilie Kah

Après un parcours riche et dense, je jouis de ma retraite dans une propriété familiale non loin de Moissac (82). Mon compagnonnage avec la lecture et l’écriture est ancien. J’anime des ateliers d’écriture (Elisabeth Bing). Je pratique la lecture à voix haute, je chante aussi accompagnée par mon orgue de barbarie. Je suis auteur de neuf livres, tous à compte d’éditeur : un livre sur les paysages et la gastronomie du Lot et Garonne, six romans, un recueil de nouvelles érotiques, un récit hommage aux combattants d’Indochine.

6 commentaires à propos de “#anthologie #21 À l’usine (extrait avec notes)”

  1. très agréable cette incursion dans la tréfilerie, un univers de travail familier à mon père dans la Loire à Unieux !

    • Et oui, c’est bien intéressant de parler de ces métiers. Merci de votre lecture et de votre commentaire.

  2. Superbe ce texte et ces notes qui l’accompagnent. Tout ceci me rappelle un travail de collecte fait auprès d’une dynamiterie. Je vous en remercie.

  3. Oh merci, Clarence ! Mon passage dans cet univers de l’usine m’a laissé beaucoup de traces.

  4. Les notes apportent énormément au texte, on découvre mieux l’univers de la tréfilerie, totalement inconnu pour ma part. On se rapproche ainsi beaucoup plus du personnage. Merci Émilie!

    • Merci Valérie. J’ai hésité à mettre toutes ces notes sur ce qu’on fait dans cette usine. Finalement, cela intéresse.