Nous n’avons qu’une photo de toi.
Te voilà sur le web, Frau Auguste Deter. Et toujours au dessus de toi, Aloïs, l’homme rose qui dévore ton nom, ton prénom — celui de ton père. Je te regarde, dévorée. Je regarde tes mains croisées sur ton plexus, tes ongles bombés, ta grosse chemise, ta tête d’asile, ta tête perdue, tes yeux qui font des poches où je glisse vers le froissé d’un linge blanc. Je te vois respirer sous ta grosse chemise, je remonte vers ta paupière qui se soulève, me soulève. Nous nous regardons.
L’air autour de toi est doux.
Derrière la fenêtre, Francfort, 1902, le joli parc autour du bâtiment. Un an que tu habites ici, que ton mari, Karl August, t’a accompagnée ici. Tous les jours l’homme rose t’interroge dans son bureau pour voir et écouter dessous ton front plissé. Tu ne retiens de lui que l’odeur de cigare et le bruit du bois sous ses pas. Ce n’est pas lui qui te photographie, ce jour-là. Et pourtant toi, l’auguste-femme et lui, l’homme-rose, vous retrouverez toujours côte à côte.
Nous n’avons qu’une photo de toi.
Tu es ici parce que l’homme rose t’ouvrira le crâne après ta mort. Tu es ici parce qu’il attend ta mort. L’homme rose se révèlera dans ton crâne; son nom galopera sur le tien. Tu es ici pour qu’on oublie ton nom.