#anthologie #20 | te regardant

e n’ai qu’une photo de toi… J’en ai vue d’autres, y compris de ton enfance, je n’en ai souvenir que de vos trois silhouettes aux tailles décroissantes à partir de  tienne. Je n’ai de toi ses impressions presque effacées, celles qu’une enfant ou une adolescente peut avoir d’un adulte bienveillant et un peu distant. Mais quand nous avons brassé les petites photos en vrac,  je t’ai reconnu tout de suite et me la suis attribuée parmi les rares que j’ai gardées. Ton image sépia, cette photo de la taille d’environ trois photos d’identité, ce portrait de ta bascule au seuil de la vieillesse, toujours ferme, calme et assuré, entier et discret à la fois, ouvert et un peu secret. Ce que fut ta vie je ne le sais pas vraiment, c’était le déroulement normal de la lignée dont personne ne sentait le besoin de faire le récit aux plus jeunes… peut-être tes enfants plus âgés que moi et maintenant disparus auraient-ils pu chercher à nous  en reconstituer le déroulement mais ils n’en sentaient pas le besoin cela s’était tissé tranquillement avec leurs premières années. Je ne saurais jamais comment toi et ta femme avaient vécu ce long partage du grand appartement avec la génération précédente, quelle furent tes sentiments en prenant un jour place au haut bout de la table familiale, quand et comment il fut décidé que tu reprendrais pas la place du père dans les différentes sociétés créées qui moururent lentement, mais que ne le quitterait pas , ne serait pas marins, officiers, ne revenant épisodiquement, fin de la guerre, affectations, en Algérie comme tes frères. Je ne sais pas non plus si c’est toi qui a remplacé la goélette franche fierté de la famille par un côtre de course de la série des deux tonneaux ni de la transformation de ce dernier en vif bateau de promenade familiale en en coupant l’arrière et changeant le gréement, tel que je l’ai connu. Je suppose tout de même que ce sont les relations paternelles qui firent ta carrière chez l’armateur principal des échanges avec la métropole. Non, ce qui m’est le plus proche se retrouve sur cette petite épreuve. Ce visage rond que tu partages avec ton père et le cadet mais sans la morgue souvent affichée par ce dernier, et qui vous distingue du troisième fils héritier, en version masculine, de l’ovale du visage de votre mère. Ce qui te revient c’est de porter le souvenir de la terre, du travail et de la fraternité de la glaise mêle si tu ne l’as jamais travaillée, te bornant à des visites à l’exploitant | appelons le Brahim| de ces petits hectares presse l’embouchure du Hamis, à vos entretiens confiants même que cette terre nationalisée fut travaillée par lui pour le compte de je ne sais quel organisme, , ce sont les petits yeux qui abritent leur accueil souriant sous l’arche dure et profonde des sourcils, c’est le nez droit et assez large qui découpe presque symétriquement le visage,  qui aurait fait le bonheur d’une fabricant de médailles, c’est la bonhommie de la large double moustache s’écartant autour de la longue bouche aux lèvres minces sans dureté, c’est l’autorité simple, naturelle, qui ne s’affiche pas, qui est évidente sans qu’il soit nécessaire de la souligner, sans les hochets, galons, croix de la Légion d’honneur portée en cravate… Ce qui fait que tu es toi sur cette image, c’est la bonté devinée.

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

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