#anthologie #20 | Ta paume et tes cinq doigts

Je n’ai que six photos de toi. De toi au grand complet, avec chacun de tes doigts, sans qu’aucun ne soit plié, invisible sous ta paume ou sous l’objet que tu tiens, enfuie au fond d’une poche, derrière l’épaule amie sur laquelle je m’appuie. Bien souvent c’est ton dos qu’on voit sur les photos, plus rarement ta paume sauf quand je veux dire stop, me cacher derrière toi, ce soir de carnaval ou on avait vraiment, vraiment beaucoup trop bu. L’image que je préfère c’est celle que j’ai achetée à cette photographe rencontrée en expo. Une photo en octobre, juste dans cette période des grosses tempêtes d’automne, quand on a intégré dans nos manières bougonnes que l’été est fini, plus de voiliers sur l’eau, plus que nous à sortir, à rentrer dans un port sans badauds sur les quais. Sur cette photo-là, c’est quand on rentre au port, sur mon dernier bateau, tu sais, la fleur des ondes, le bateau sur lequel, un câble trop tendu t’a séparé de moi. On rentre au port un soir, bien rincés tous les trois, Fred à la passerelle, Dédé et moi sur le pont, fin de marée, conditions bien musclées, on s’était fait secouer comme il faut ce jour-là, alors on était bien contents de rentrer, déjà un peu au calme le temps de remonter tout le chenal d’entrée qui va jusqu’à l’écluse. Et là, juste un rayon de soleil en passant la jetée, une éclaircie comme j’aime, un truc à vous coller juste en dessous du nez une grand sourire béat, et debout sur le quai, la photographe est là, c’est Dédé qui l’a vue et qui me l’a montrée. On souriait bêtement et tu l’as saluée, toi, ma main fantôme, aujourd’hui disparue, sur cette photo-là, tu es au premier plan

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.

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