Aucune trace des parents des parents des parents. Aucun souvenir.
Ils ont habité dans cette maison du côté de Giovanni, et dans la maison en bas du côté de Teresa. Pas de photo d’eux, pas d’écrit, pas de date de naissance, pas de son de voix, pas de regard, pas d’histoire. Une vie de paysans des montagnes. Une pièce principale, une chambre, une cuisine. Levés à l’aube pour aller dans les champs. Du grain, du blé, la vigne, les pommes de terre. Les enfants restent à la maison, en bas-âge avec les grands parents. Et la collation apportée par les femmes à neuf heures. Le retour à quatorze heures, le repas, la sieste au frais. Et l’hiver la veillée. Tous au chaud. Quand j’ai regardé l’Arbre aux Sabots, dans la scène où la famille et les voisins sont rassemblés, et que l’amoureux vient timidement avec son bon copain pour voir la jeune fille qu’il courtise, juste la voir, sans lui parler, je les ai imaginés. Chacun racontait une histoire. Tout en travaillant, en raccommodant, en cousant. Ils ont vu la même montagne, le même ciel, les mêmes pierres, le même paysage sec en été, et la pluie qui dévalait la Via Fontenuova, comme un ruisseau. La neige et le gel de l’hiver. L’Aquila est la ville la plus froide d’Italie. Tout cela, ils l’ont vécu. Les jours de faim. Les jours de fêtes. Les mariages, les baptêmes, les enterrements. Les jours d’enterrements, le silence se faisait. Les voisins préparaient le repas, et le soir, tous se réunissaient pour ne pas laisser la famille dans la solitude du chagrin. Ils avaient vu l’unité italienne, les guerres, les deuils, la misère de l’entre-deux guerre, le facisme. Ils ne savaient pas écrire, ni lire. Ils ont répété les mêmes gestes. Ils sont allés chercher de l’eau tous les jours. Sont allés chercher du bois. Ont fait du feu. Ont trait les vaches. En avaient-ils des vaches ? Ils connaissaient les champs des oiseaux, et par cœur les crêtes des montagnes. Ils chantaient. Si seulement on avait retrouvé les anciens actes notariés dans la malle, ont aurait su par qui et quand les lopins de terre avaient été achetés, transmis, donnés, nommés. Le séismede 1703. La prise des Français en 1798. Des Autrichiens en 1815. Les sept kilomètres de marche à pied pour aller à l’Aquila. Et de l’ancienne ville romaine, qui reste-t-il ? Lorsque Manfred de Sicile a fondé l’Aquila en 1254, qui est parti la construire avec les paysans de tous les villages alentour ? Les parents des parents des parents, et tous ceux avant eux, étaient allés à l’Eglise, celle sur la place, Santa Maria Assunta, reconstruire au XVIIe siècle, dans la basilique romane de San Giustino, bien avant, à partir du VIIIe siècle, dans l’église de la Madonna d’Appari, à l’extérieur du village, construite au XIVe siècle sur la roche. Les luttes pour rester une ville autonome. Étaient-ils déjà là ? Quelles contrées ont-ils traversées pour venir marcher pieds nus sur le sol glacé des jours d’hiver ? Les photos disparues sous la gravas de 2009. Les photos retrouvées dans les décombres, déchirées, salies, poussiéreuses. A certaines heures du jours, les montagnes étaient presque bleues, la lumière rasait les flancs des collines arides, couleurs de terre, au-delà, on apercevait des cimes enneigées, même en été, j’ai appris le mot de “neiges éternelles”.