#anthologie #20 | La photo tronquée/ le visible et le néant qui guérit

#anthologie# 20 La photo et le coup de ciseau en trop. Le vertige du néant guérisseur

« le visible et le néant »

Une superstition a cours en Egypte : les coups de ciseaux en trop ou à vide peuvent attirer le malheur car ils risquent de blesser les mauvais esprits qui se mettent en colère.

Dans notre album de famille une photo tronquée, une seule, coupée à la moitié, en noir et blanc ne suscitait jamais de commentaire et ce, pendant tout notre enfance. Cet album selon mes souvenirs couvre la période de 1948 à 1970

Un gros cahier album vert foncé fait de feuilles épaisses noires et semi-rigides avec des coins qui retiennent les clichés de différentes tailles.

Là étaient archivées les photos de jeunesse et d’étudiants de mes parents. L’agencement et le déroulé chronologique mis en scène par mon père sans aucun doute : Festival international de la jeunesse, camp d’étudiants pour les vacances, découverte de pays d’Europe en train, animation de groupe folklorique, évènements heureux, photo d’amis disparus au tremblement de terre d’AGADIR, évènements festifs, une maison de village occupée lors de séjour en Corse et son âne, anniversaire Noel et les cadeaux etc… photos d’écolier.

En somme un album rempli de moments (joyeux souvent) à commenter.

Une photo tronquée, une seule, coupée à la moitié, en noir et blanc ne suscitait jamais de commentaire.

Une photo rectangulaire 3 cotés dentelés et le 4ème coté central sur la page noire, rectiligne sans bordure coupée aux ciseaux

La moitié gauche Mon père regardant avec un certain sérieux en direction d’un espace infiniment vide le reste de la page noire chaque coin semble réaliser un rebord vertigineux vers du néant.

ILporte une coupe de cheveux un peu haute au milieu, cheveux moins épais sur les côtés. A la mode de l’époque (coupe zazou je crois) une veste foncée, une chemise blanche serrée au cou par sa cravate étroite.

On tournait un peu plus vite ce pan de mémoire interdite mystère et tabou.

Usage qu’il fit des ciseaux pour amputer la mémoire, réduire au néant une inconnue évanouie dans la moitié droite manquante.

Sans doute par la volonté de celui qui occupe gauchement, seul, l’espace gauche.

Unique témoignage (amputé) d’un évènement marquant comme suspendu entre souvenir et volonté d’oubli total.

Quelques pages plus loin une photo complète rectangulaire et dentelée sur les 4 bords montrait mon père un peu plus âgé, le visage irradié de tendresse le regard protecteur et enveloppant. En face de lui le visage et les yeux tendus vers lui, ma mère toute rayonnante.

A aucun moment personne n’avait imaginé que par un excès de jalousie ma mère seconde épouse donc aie osé accomplir un tel geste

Ses 20 ans approchant une dérogation leur fut signée et deux témoins ramassés dans le café proche de la mairie pour authentifier et valider en Mairie leur document

Ils sont si proches ! le complet veston noir et une fleur blanche à la boutonnière mes deux parents les yeux dans les yeux c’est le jour de leur mariage.

C’est en 1954 Mon père a 26 ans ma grande sœur 6 ou 7 ans Ma mère presque 20 ans Elle porte une veste de tailleur clair. Je ne suis pas encore né.

Quinze années plus tard, de manière abrupte comme si, après avoir beaucoup hésité devant le choix du meilleur moment, il avait ce jour -là décidé de se jeter à l’eau.

1970 L’année de mes 15 ans très précisément que mon père a cru bon de m’apprendre solennellement que ma sœur Y.  que j’ai toujours connu et considéré comme ma merveilleuse et gentille grande sœur était « d’un premier mariage » dont il avait voulu faire disparaitre toute trace.

Un peu comme dans la chanson

     —Sa mère n’est pas ta mère et tu ne le sais pas … Aurait-il pu fredonner

     —Aie Papa ce n’est pas un grand malheur pour moi …aurait été ma réponse

La surprise devant ce qui me semblait une confidence plutôt qu’un secret dévoilé se modifia en questionnement ramenant sous un nouvel éclairage la photo incomplète, qui réapparaissait dans l’esprit sans même avoir à ouvrir l’album vert de souvenirs enfoui quelque part parmi livres et archives.

Notre cellule familiale ainsi, n’échapperait pas au « non conventionnel »?

Les mosaïques familiales réalisent des configurations complexes :

Enfant de « premier lit », femme de « dehors », maitresses officielles, mammans zenfants accidentelles.

Par cette découpe il avait dans une impulsion de jeune homme manifesté sa rancune ou sa colère. Par cette photo découpée à la moitié, il avait réussi à gommer sa première épouse la mère d’Y, ma sœur plus « grande de sept ans »

Mon ainée n’avait pas de représentation visuelle de sa génitrice. Pire on lui avait imposé du néant !

J’ignorais à l’époque le terme de « famille recomposée » Par orgueil et rancune à l’égard de cette erreur de jeunesse qu’il avait dû assumer.

Cette dame mystérieuse dont on ignorait tout s’était perdue dans un néant.

Ma mère disait avoir cru comprendre qu’elle fut atteinte d’une maladie après un accouchement compliqué puis plus tard fut victime d’un accident.

Ce qui semblait constant (trop jeune pour être Maman) elle avait voulu vivre ailleurs.

Parmi les explications que tous avaient voulu retenir Elle aurait quitté le pays laissant Y à son père et ses grands-parents.

Depuis cette révélation mon père évoquait parfois ce divorce (il divorça à 21 ans et se retrouva avec un bébé à charge)

Désormais il semblait plus loquace sur les épisodes de sa vie d’’étudiants à jongler pour les jours de garde, visites aux beaux-parents. Jusqu’à la rencontre, colorée d’un romantisme émouvant, qui donna une vrai Maman à ma grande « demi -sœur »

 Y se trouvait très tardivement remise dans sa propre histoire étouffée jusque-là

Septembre 1970 Un notaire pris contact avec mon père pour l’informer que l’on cherchait à le joindre pour indiquer les coordonnées de Y et l’informer avec un grand retard que sa génitrice était décédée

Mon père avait réussi quelque chose de bizarre car Y répondait ; «je ne connais pas cette dame ».

En regardant à la dérobée cet album ce vide semblait s’épaissir et l’obscur de la moitié droite s’assombrir davantage.

Comment t’appelais-tu ? Je découvrais qu’elle était dénommée H. N’ayant jamais eu accès aux papiers d’état civil géré par nos parents

De quoi es-tu morte ? de maladie ou d’accident brutal de la route aux USA dernière destination évoquée par les services officiels

Un vielle lettre munie d’un en-tête officielle demandait à mon père de prendre contact avec un office de notaire dont l’adresse était indiquée. Il ne le fit pas.

Elle n’avait jamais existé dans la vie d’Y ?

Devenu étudiante et partie du foyer, la vie d’Y se déroulait à ma connaissance normalement.

Elle avançait dans ses études, rencontra quelqu’un se maria et un an après son mariage au retour d’un périple sur la route un terrible accident de voiture mis son mari comme elle dans un état de coma.

Encastrés dans un platane. Son mari s’était-il endormi au volant ?

Les dégâts fractures multiples fracture de la face et traumatisme crânien.

Chirurgie réparatrice, Rééducation

La mémoire d’Y restait irrémédiablement insuffisante des années entières se trouvaient gommées.

Le choc de voir sa fille Y diminuée, réduite à un corps brisé et un mental dégradé amena un sentiment profond de culpabilité chez notre père

Il resta à son chevet un mois jusqu’à ce que son état fut stabilisé.

A la sortie des pansements du visage et des réparations

En la dévisageant il resta bouche bée et mutique pendant des heures aucun son ne pouvait sortir de sa bouche

Ainsi une de mes tantes ayant été informée de la tragédie , bien inspirée sans doute qu’elle était dépositaire d’un exemplaire complet de la photo du premier mariage de son frère mon père.

D’autorité elle avait fait établir des reproductions et fait placer un photo complète a l’attention d’Y qui avait manqué de perdre sa vie

Elle avait exigé que l’on montra la photo complète à ma sœur encore hospitalisée dans un état grave

Il ne pouvait pas le croire, en redécouvrant celle qu’il voulait de toute ses forces gommer tous les traits de ce visage, une apparition, un fantôme !

La photo complète et le visage qu’il avait gommé se ressemblait créant un sentiment bizarre. L’organisation de la chevelure crépue , le nez, la courbure du nez,l (implantation des pommettes et la fossette au menton

Ma grande sœur même si tu as choisi ma mère pour l’aimer tu as été privée de l’image de ta vraie maman. Tu as subi et accepté la répudiation et la disparition par coupage et cisaillement de celle qui fut la première épouse de notre père

Ton destin fut perturbé en profondeur sans qu’on imagine un seul instant le poids de ce manque indicible et caché.

Et toi-même le ressentais-tu ?

.

La tragédie d’un accident de voiture sur une route du sud-ouest

Ton coma les fractures multiples

Et surtout l’amnésie post- traumatique

La photo mystère complétée et agrandie allait désormais participer à l’amélioration de ton état général au retour progressif d’une mémoire

La ressemblance sur la photo complète dont une copie existait conservée intacte

L’apaisement global quand elle reçut en cadeau la photo complète.

J’ai reçu à cette même période un exemplaire la photo entière et j’en suis bouleversé. C’est là que mon monde de certitude s’émiettait

Je ne sais pas si le choc visuel touchera certains neurones engourdis ou détérioré

—Cette femme qu’a épousé mon père sur la photo complète vous êtes pareil même coiffure cheveux crépus remontés en trois bosses chevelues même pommettes même sourire intimidé.

Retour puissant, presque incarnée, en  force de celle que l’on voulait gommer.

Apparition qui s’incarne en sa fille survivante  

Dont tu n’as plus jamais entendu parlé et qui serait morte accidentellement aux USA où elle avait décidé de partir en te laissant à la garde de notre père.

Cette photo troubla sans doute tes années passées dans le foyer ; l’invisible occupait sans qu’on l’ai mesuré, une place aussi important que le jeune homme visible

D’une manière ou d’une autre la vérité se montre mais on ne la décode pas toujours

Les micro chimères cellulaires sont en toi et circulent dans ton sang

Des cellules issues d’autres individus se nichent en chacun de nous. Ces microchimères, qui s’échangent pendant la grossesse entre une mère et son fœtus, pourraient jouer un rôle essentiel dans la protection et la réparation des tissus dans ton cas.

 Leurs propriétés suscitent l’intérêt des scientifiques et offrent de nouvelles perspectives pour des thérapies cellulaires novatrices.

Sans sépulture connue de H ta génitrice, toi ma sœur, tu n’as jamais pu faire le deuil d’elle. C’est d’une tragique manière qu’ H s’était rendue présente sans avoir été expressément convoquée ni par ton père ni par toi.

« Apparition » sur papier photo de celle qui même fantôme émergeait dans le réel grâce à une photo devenue entière

Une piste de thérapie TCC fait revenir la véritable image qui avait été mise « hors champ » par un funeste coup de ciseau rageur.

Ensemble pendant ta convalescence nous pourrons parler de ce que tu ressens.
tu pourras te réinventer à travers cette vraie personne qui un jour t’as mise au monde

Votre ressemblance de visage va lever des verrous

Nous pardonnerons ensemble à notre père de ne pas avoir su gérer un accompagnement et cette substitution de mère

Te reconstruire sur une vérité acceptable un corps réparé et une identité qui se complètera

JEAN YVES LEBORGNE

Un commentaire à propos de “#anthologie #20 | La photo tronquée/ le visible et le néant qui guérit”

  1. « Le coup de ciseau en trop » (bien trouvé) et tout ce que ça engendre. Je me suis demandé pourquoi l’écriture en versets ?