Je le note avant d’oublier. J’appartiens à une famille qui n’avait pas le culte du passé.
C’est encore une inconnue qui m’envoie il y a quelques mois deux photos : la photo du mariage de deux frères Jean et Johanny mariés le même jour de 1871 et celles d’un homme et de deux femmes à dos de dromadaires devant les pyramides d’Égypte.
Sur la première, elle affirme que l’un des deux frères est mon arrière-arrière-grand-père Jean et me demande si je peux lui dire qui sont les autres. Je me prête au jeu. Je sais que mon arrière-arrière-grand-père et son frère se sont mariés le même jour, tard dans la soirée, ce qui m’avait intriguée et était resté inexpliqué. Je recherche l’acte, mes souvenirs sont bons : « l’an mille huit cent soixante et un le quatorze du mois d’otobre à dix heures du soir… » Ensuite avec l’arbre généalogique que j’ai construit depuis quelques années et qui dort dans le cloud, je mets des noms sur les visages en fonction de la physionomie, des âges en 1871 et des liens familiaux (mon arbre recense tous les collatéraux connus, car c’est là que gisent les secrets de famille, chez les oncles et les tantes « qui tiennent les murs de la maison »). Je mets des noms hypothétiques que je soumets à ma correspondante. L’inconnue corrige « votre arrière-arrière-grand-mère n’est pas la grande femme fière debout à côté du fauteuil, c’est la petite femme fine et délicate (pour ne pas dire souffreteuse) assise à côté de son beau-frère ; votre arrière-arrière-grand-père est derriére debout ». Dont acte, mais pourquoi me pose-t-elle des devinettes ? Que veut-elle tester ?
Sur la seconde, j’affirme qu’il s’agit sans doute de clients de l’hôtel qu’a ouvert le fils de Johanny lorsque Noirétable est devenue station climatique dotée d’un casino et de nombreux hôtels et pensions de famille. Des clients qui avaient sans doute laissé à l’hôtelier des témoignages de voyages lointains. Mes arrière-arrière-grands-parents étaient de braves paysans foréziens qui « n’avaient certainement pas les moyens de se payer le voyage. Elle conteste “l’homme porte le même costume que sur la photo de mariage, c’est Jean, c’est votre arrière-arrière-grand-père avec sa femme Claudine et sa belle-sœur Marie.” Puisqu’elle l’affirme, je cherche des pourquoi. Claudine était la sœur de Claude dit le riche “qui mettait dit-on plus d’une journée à cheval à parcourir ses terres”. Le voyage en Égypte, juste après l’ouverture du canal, avec peut-être l’entreprise Cook qui s’en fera une spécialité, était peut-être le cadeau de mariage du frère à ses sœurs… en échange de revendications absentes sur le partage ? Clotilde Antonia Jeanne mon arrière grand mère naitra le 17 novembre 1872. Conçue en Égypte ? Pourquoi pas !
Ce n’est qu’au bout de nombreux échanges en forme d’interrogatoire que mon inconnue m’envoie l’histoire de sa famille, rédigée et illustrée. Ils viennent de vendre la maison de famille de Noirétable qui jouxtait l’hôtel du fils de Johanny. Puis ne m’écrit plus.