# anthologie #20 | la classe

De toi je n’ai qu’une photo, une seule. Hormis celles, où avec les enfants de nos classes nous avions posé, et aussi celle où l’une des petites élèves n’est autre que ma petite. 

C’est ainsi que nous avons fait connaissance. Je viens d’être nommée, c’est ainsi que l’on désigne une attribution de poste dans une école, en primaire A. Tu accueillais une cohorte d’enfants de deux ans dans la maternelle Chat Perché de ce groupe scolaire qui comptait trois maternelles et deux primaires. Dernière construite, elle avait échappée à sa désignation alphabétique au profit d’un de ces noms de contes, de jeux ou de chansons, juste avant les expressions à double sens autour de mots dérivants du mot Loup. Quatre classes, chacune dans un pavillon indépendant, entrée et coin détente, grande cour commune et magnifique salle de motricité. L’enfant sera bien ! Avec toi, on accroche vite. Tu est souriante et positive, l’enfant s’adapte, bien qu’elle ait quitté une crèche qu’elle adorait, des adultes et des enfants qui comptaient. Elle est active, joyeuse, et aime tout. Il faut dire que c’est une année de transition, elle n’est présente que trois matinées par semaine. Étrangeté d’une pratique professionnelle qui protège son propre enfant de ses dérives et excès, notamment pour un humain si jeune, la semaine de quatre jours pleins possibles. Elle est présente pour la photo. 

Les photos scolaires sont toutes les mêmes, des minois alignés dont on a oublié les prénoms sauf à les inscrire sans attendre, et nos visages qui changent au fil des années sauf ce sourire un peu forcé, cette pause pour les familles chez qui nous allons trôner, en prévision des voyages que nous allons faire parfois très loin, jusque chez des grands-parents, cadeau rituel auquel les familles réfléchissent, qu’elles vérifient quand les piles de photos identiques à un détail près triées et distribuées en fonction des commandes leurs sont remises, Nos corps débouts, au côté du groupe, cheveux en vrac, attachés, en nattes ou demi queue, toujours en pantalon, en tee-shirt ou en pull, des affaires pas chères, pas salissantes, vite mises et vite lavés, ordinaires, sans charmes, sauf ce pull à grosses côtes, rose thé qui mange un peu le cou, et le visage si jeune. Des photos format paysage, devant du matériel de gymnastique, cerceaux, plinth, plots, ballons, des photos à l’extérieur devant le grand saule pleureur, devant le jeu à grimper, quelques enfants sont dessus, devant un coin de mur les années où le photographe est fatigué, peu soigneux et indifférent aux enjeux, sûr de son affaire à une époque ou les photos manquent encore. Et il y a les fratries, l’assurance de bons chiffres, un crève -cœur pour les familles de savoir qu’elles seront perdues si elles ne les achètent pas. Nous respectons la règle la plus dure, celle qui nous ferait gagner la ristourne la plus grosse, il y a ristourne sur tout ce commerce, les portraits individuels que les parents réclament, que d’autres écoles font faire, concurrence directe avec les photographes d’officines dont le métier périclite avec les premiers appareils numérique, les jetables, les caméscopes, tout la pratique de photographie privée qui démarre. 

La seule photo que j’ai de toi, au-delà de ton visage de profil regardant, maussade, je ne sais plus quel paysage, est prise dehors, un jour d’hiver sans neige. Les lutins sont partis skier, la mienne est confiée. A la table de bois, nous avons dû boire un thé, parlé un peu, et j’ai sorti l’appareil que j’ai depuis ma première paye, une sous-marque d’Olympus, poids moyen, assez compact, un peu mou cependant, et propice aux clichés que l’on prépare et prends le temps de soigneusement régler. Ton portrait, ,je le prépare, ton autorisation, la discussion qui en découle, la pellicule noir et blanc, j’en aime le contraste net, le prix un peu moindre des pellicules et du développement, pui ce sera le choix du papier mat, sans bordure, format 9 cm par 15, moins compact, laissant au hors champ une respiration, tu détournes les yeux de l’’objectif, regard de trois-quarts, pas droit à l’erreur, pas de gaspillage, déclencheur. Tu dis Ça suffit. Je dis Encore une. Et tu acceptes, et une dernière. Quelques semaines après Tu diras Je suis laide. Tu refuseras ton exemplaire. 

A propos de Catherine Serre

CATHERINE SERRE – écrit depuis longtemps et n'importe où, des mots au son et à la vidéo, une langue rythmée et imprégnée du sonore, tentative de vivre dans ce monde désarticulé, elle publie régulièrement en revue papier et web, les lit et les remercie d'exister, réalise des poèmactions aussi souvent que nécessaire, des expoèmes alliant art visuel et mots, pour Fiestival Maelström, lance Entremet, chronique vidéo pour Faim ! festival de poésie en ligne. BLog : (en recreation - de retour en janvier ) Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCZe5OM9jhVEKLYJd4cQqbxQ