#anthologie #20 l Photo de baptême

Je n’ai aucune photo de toi. Ton album est perdu. Il ne reste aucune trace de toi. Tu es mort une deuxième fois. Nous ne retrouvons plus la photo où tante Nicole se tient droite aux côtés de notre mère plus petite et menue qui te tient dans ses bras, toi dont on discerne à peine le visage. J’aurais plus tard moi aussi la même photo que toi en noir et blanc. C’est au parrain et à la marraine qui posent avec nos parents devant un fond pâle qu’on sait qui maman tient dans ses bras. Toi avec Tatie Nicole et Serge le meilleur ami de notre père. Moi avec Marraine Ketty et Angenel le frère de notre père. Notre sœur Gladys avec Tatie Sylviane et Duquenne un autre ami de notre père. Il y a quelque mois l’idée m’a frappé. Je n’avais jamais pensé au deuil de notre père, un peu comme si tu n’avais été que l’enfant de notre mère. J’avais imaginé sa douleur quand je suis à mon tour devenue mère. J’ai ressenti l’arrachement. J’ai gardé dans ma mémoire l’image de son corps abattu gisant près de toi, son enfant mort dans un appartement de la cité Chanzy qu’elle refusera d’habiter un peu après ma naissance. Pour mon père je n’ai aucune image. Peut-être sa précipitation à descendre l’escalier de la cité pour aller prévenir. Il avait quelque chose à faire. Il a pu tenir à distance ta mort, celle de son premier né. Ma mère dans son immobilité n’avait rien à faire que rester là près de toi. Elle n’en parle jamais et mon père non plus n’en a jamais parlé. Ils n’ont pas parlé de la façon que tu avais de les regarder, de leur sourire, de ta manière de pleurer, de dormir. Je ne sais rien de toi mon frère. Je sais en consultant le livret de famille que tu es né le 4 mai 1971 pour mourir le 10 septembre 1971. J’étais dans le ventre de ma mère quand elle était allongée près de ton corps Tony et qu’elle entendait les pas de mon père s’éloigner. Je suis née neuf mois plus tard.

A propos de Gilda Gonfier

Conteuse, paysanne, sauvage. Voir son site 365 oracles.

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