Tu as huit ans. Tu es une petite fille en robe claire, le front dégagé, les cheveux blonds mi-longs tirés en arrière, séparés par une raie bien nette ; tu as les yeux clairs, posés à fleur de tête, sans creux. Tu es assise sur les marches d’un petit escalier qui aboutit à la terrasse d’une maison qu’on devine au fond. Une végétation touffue mord chaque côté de l’escalier ; tu es assise face à nous, les coudes posés sur tes genoux écartés. On voit un pan de ta culotte. Tu te tiens ingénument comme une petite fille à qui on n’aurait pas encore dit : « serre les cuisses ». Une pointe invisible vient troubler cette image innocente. Tes sourcils sont légèrement froncés au-dessus d’un grand sourire ; assis sur la marche derrière toi, il y a ce type : ton père.
Tu as vingt ans. Tu portes des lunettes noires, une brassière et un short qui découvre ton ventre bronzé et tes jambes musclées. De la main gauche, tu tiens la queue de cheval de ta sœur agenouillée devant toi. Dans ta main droite, tu tiens une serpette que tu brandis bien haut au-dessous du cou de ta sœur. Ton visage hilare est tourné vers la caméra : c’est une mise à mort d’opérette.
Tu as 46 ans. Tu brandis un poisson que tu viens d’attraper à la palangrotte. Tu évolues en mer avec aisance. Tu es habile à la pêche, une bonne navigatrice et tu nages comme un poisson. C’est sur la terre que se manifeste ta maladresse.
Tu as 69 ans. L’alcool a abîmé ton corps et ta cervelle. Tu as cassé ton dentier et souffre de fuites urinaires. Tu t’en fous complètement et c’est drôle. Tu vas mourir dans un mois mais moi, je ne le sais pas.
une vie en 4 photos. Saisissant.