Je n’ai pas de photo de toi. J’en ai une dans l’imagination. La photo est un peu déchirée. Tu y souris mais à peine. C’est ainsi qu’on t’a appris à exprimer ton bonheur. Tu y portes cette robe blanche, la même qu’avait portée ta mère. Il porte ce complet fait pour l’occasion. Il a plus de peine à sourire que toi. C’était quelques jours après votre mariage. Vous vous êtes rendus à Payerne chez le photographe. Il vous a dit d’attendre. Un autre couple passait avant vous. Il ne fallait pas déranger. Tu n’aimais pas trop ça, qu’on te prenne en photo, mais ça se fait, les photos de mariage, on sera content, plus tard, de les revoir. Tu ne penses pas encore à ce moment où, après l’avoir enterré, ce sera la seule photo de lui qui te restera, avec une photo prise à l’armée où tu ne le reconnais pas. Tu as dû te coiffer comme si c’était à nouveau le mariage mais il n’a pas fallu traîner. Le matin, on arrachait les pommes de terre, l’après-midi on rejouait la noce mais seulement pendant quelques minutes. Tu échappais un instant à la corvée quotidienne. Le mariage, te disais-tu, c’est une heure de plaisir et une vie de travail, mais cet homme que tu revois sur la photo au soir de ta vie, tu aurais pu plus mal tomber. Les hommes de chez toi étaient plus rudes que lui. C’est pour ça que tu souriais, sur cette photo, parce que tu quittais un lieu rude pour un lieu moins rude, mais si tu souriais à peine c’est parce que tu savais que la vie, on a beau faire, ça reste rude.
quelque chose de la vie rude dont tu parles souvent…
quelque chose que tu fais si bien…