Je n’ai que six photos de toi… je ne sais pas pourquoi six et pas plus… tu es pourtant venue plus souvent que six étés. Tu as dû venir… tu n’es peut-être pas venue plus de six étés… tu ne te souviens pas… je ne me souviens pas très bien non plus… le visage de ta mère et le tien se mêlent… tu as la même posture… sur cette photo, le même geste… j’ai connu ta mère au même âge… les mêmes cheveux… la même couleur… les mêmes yeux… avec peut-être une pointe supplémentaire de timidité. Je mélange les années. Sur cette photo le café était déjà fermé… alors c’était bien toi, oui, sur la photo. J’aimais quand tu me demandais de t’aider à monter l’escalier. Tu vois celle-là… quand tu es de dos… à moitié tournée, la main tendue vers moi… avec les larmes dans les yeux… tu voulais que je vienne avec toi parce que tu avais peur… peur de ce virage après le palier… peur de t’engouffrer dans les fantômes de l’étage. J’en riais. J’en riais alors je t’ai prise en photo. Là. Juste à ce moment… pour en sourire encore… pas pour me moquer… pour me rappeler ce moment où tu avais eu besoin de moi. Sur celle-ci tu es avec ta mère et Marcel. Il voulait toujours poser avec son chapeau de feutrine, adossé à la margelle du pont au fond du jardin… il était beau avec ce chapeau. Il ne savait pas sourire sur les photos. Toi tu le regardes… admirative… ta main au creux de la sienne, toute droite. J’aurais dû me douter que c’était toi… mais tu as perdu l’innocence dans le regard.