C’est une photo carrée noir et blanc, trois fillettes brunes en robes blanches, souliers vernis se donnent la main devant la grande baie vitrée du salon (1). Sur la gauche un caoutchouc grimpe jusqu’au plafond. Derrière la vitre le vide (2). Tu es au centre, je ne vois que toi. Ta petite sœur te donne la main. Elle a de fins cheveux bouclés et des joues de bébé même si elle vient de fêter ses 5 ans (3). La troisième fillette c’est moi, le moi d’avant (4). De toi, je n’ai gardé que cette photo. Nous levons nos mentons, à peine un sourire sur nos visages crispés : Le petit oiseau va sortir ! Tiens-toi droite ! Arrête de bouger ! (5) J’aime tout chez toi, ta silhouette fragile, tes yeux sombres, ta voix grave, voilée. Tu parles peu. Tu m’aimes aussi pjuste parce que c’est moi. Ta mère t’a coupé les cheveux au carré, ta frange dessine sur le front comme une vague, nous avons dix ans et je t’aime d’un amour incommensurable. Un jour tu déménages. Je ne garde de toi que cette photo carrée. Tu t’en vas, nous avons dix ans, nous nous sommes promis de nous écrire. Tu pars d’abord chez des cousins avant d’emménager dans ta nouvelle maison quand tes parents l’auront trouvée. Ta mère dit que lorsque vous aurez votre nouvelle adresse tu pourras m’écrire. J’attends, je guette la boîte à lettres pendant des mois, rien ne vient (6).
(1) la photo est prise de haut, image étrange aux silhouettes déformées, nos têtes sont plus grosses que dans la réalité et nos pieds minuscules
(2) la photo est prise dans un appartement situé au 7ème étage d’un bâtiment posé en haut d’une colline qui descend à travers pré et bois jusqu’à la Seine, la baie vitrée recouvre tout le mur, la partie basse est en verre renforcé, l’enfant que j’étais ne s’appuie jamais sur ce mur en verre, elle n’a pas confiance, ne regarde pas vers le bas, elle est sujette aux vertiges
(3) quand je sonne à la porte de ton appartement – tu habites au 9ème étage, porte droite – pour aller jouer dehors, ta mère dit D’accord mais emmène ta petite sœur, elle nous suit partout, nous sommes ses héroïnes, j’ai oublié son prénom, quand je pense à elle je revois un oisillon déplumé, grosse tête recouverte d’un fin duvet, trop lourde à porter pour elle
(4) j’ai du mal à me reconnaître dans cette enfant à part les cheveux longs en broussailles et les croutes sur les genoux
(5) Les photos sont rares à l’époque, elles coûtent cher, aussi quand on est prises en photo on s’applique
(6) j’ai passé l’après-midi chez toi, j’enfile mes chaussures et glisse dans ma socquette un minuscule baigneur dérobé dans ta chambre à ton insu mais ta mère a tout vu, elle récupère le minuscule baigneur Voleuse ! Tu veux que je le dise à tes parents ? je bafouille de pauvres excuses, me sauve les lacets défaits, les jours suivants difficile de nous voir en dehors de l’école, ta mère n’est plus d’accord, tu veux absolument me donner ton minuscule baigneur, je n’en veux plus, tu insistes Non c’est non ! j’imagine ta mère faisant chaque soir l’inventaire de tes jouets, vérifiant que tout y est, sale voleuse !
savouré, creusé,
merci
Merci Brigitte pour ton passage. Je sais que tu es bien occupée toi aussi 😉
🙂 un petit presque repos pour l’antre et récupérer un peu aujourd’hui