Je ne dois pas bouger. Je ne dois pas montrer, je ne dois pas dire, je souris légèrement, les mains sont croisées devant moi, je fais belle figure. La beauté me protège et me fait vulnérable. L’image est de l’argent et il y a peu d’argent. Je n’ai que des gages. La vie est devant moi comme une peur et derrière moi une autre peur. La ville grande, je n’ai plus de village. Une chambre qui n’est pas à moi dans une maison qui n’est pas à moi. Je suis fière de la maison, des repas que je frôle, du linge empesé. Il y a des gestes à faire, des manières à avoir. Chaque geste obéissant aux règles reporte au calme. La guerre est derrière, on la dit achevée. Je ne suis plus une enfant mais elle est encore là. Une peur de la taille d’un poing qui flotte dans mon corps. Les images aux bords de la nuit. Moi si petite et Dieu plus grand que tout et si lointain. Le reste, effrayant par son immensité. Les convenances rassurent. Il y a les gens d’en haut et je suis en bas. Je suis marquée. J’ai toujours été regardée, entourée de mots bas. Je n’ai pas de père, je n’ai plus de mère, je n’ai pas de famille. J’ai seulement des maitres, des bons maitres sévères. Je dois avoir un mari et tous les hommes sont trompeurs, un mari pour partir, pour être chez moi. J’aurai des enfants, la damnation, je ne peux le penser, je reviens à la pose. Dieu sera toujours là, écrasant. Les hommes vous poussent. Je sais ce qui est juste. Il faut si peu pour s’en éloigner. Il y a une place. J’ai été placée. Je voudrais une place autre. Je m’élève en obéissant. Je saurai donner les ordres comme je les reçois. Je resterai droite jusqu’à la fin et je ne pleurerai pas. J’ai ri l’autre soir dans le caveau sous la place. J’ai trop ri. C’est la faute. Il était drôle et j’ai oublié le reste. J’étais encore heureuse en revenant. C’était la nuit presque et dimanche. Je suis arrivée en avance. Je porterai un saint en moi.
Merci Tristan, ce personnage se dégage dans sa complexité et son asservissement.
Grazie Anna !