De toi cette photo où on a envie de demander qui es-tu, belle jeune fille. Prise en adoptant une pose romantique, appuyée sur les torsades de la glycine ou les hampes d un rosier, c est ton père qui règle l’appareil, dont le résultat sera cette photo en noir et blanc, où on perçoit une ensoleillée matinée de printemps, tu ne souris pas, non, sérieuse comme on peut l’être à l’adolescence, tout est drame, te prêtant au jeu de l énigmatique jeune fille qui ne sait pas ce qu’elle réserve d’avenir, fluette, fragile, mais décidé, le regard ! tu n’es pas terminée et pourtant l’essentiel, tu l’as déjà constitué, tu le tiens en toi mais tu ne le sais pas, tu le sais, et avec cette robe que tu habilles d un corps fin et alangui, tu es une pousse appuyée sur une pousse, une fille moderne en robe années 30, garçonne un peu : la coupe courte des cheveux, et féminine dans le déhanché, tu te tiens là, tu ne sais pas ce qui va se passer – la guerre, la mort de ta mère d’abord, tu es impertinente comme les héroïnes de Colette, au mutin sérieux, un bras enroulant la branche, on vous attend pour déjeuner mais ton père a su que c’ était le moment, la saisie dans la grâce, de toi pas d’autre prise à cet âge, tu ne te ressembles pas, tu ne ressembles pas la jeune femme que tu seras après, jeune fille unique petite fille butée, dans le jardin de la maison de campagne de son père