Je n’ai aucune photo de toi. J’ai eu beau chercher dans les albums photos de famille que mon père vient de me confier (d’ailleurs, pourquoi l’a t-il fait ? ), tu n’apparais nulle part. Ni ton prénom, ni ton corps, ni même une simple évocation de ton existence. Je n’ai pas osé demander et ne le demanderai sûrement jamais, mais pourquoi donc es-tu nulle part ? Pourquoi les peu de mois où tu as vécu ne sont même pas pris en considération ? Ta vie ne valait-elle pas la peine d’avoir été vécue, ne serait-ce que pour si peu ? Pensais-tu qu’il valait mieux partir ? Qu’est-ce qui en toi t’a empêché de vivre ? La seule image que j’ai de toi est celle d’un bébé de quelques jours, allongé sur le ventre qui ne bougeait pas et celle de moi, petite fille de quelques années, qui, un matin, tôt, était venue te chercher et avait crié elle ne bouge pas. Et c’est tout ! C’est tout ce dont je me souviens de toi. On m’avait brusquement prise par la main et emmenée au bus qui arrivait sur la route pour l’école et depuis, plus de mot, plus de nouvelles, pas d’explication, tu es devenue un sujet tabou, une disparition que l’on tait. Je me rappelle juste que tu étais la troisième fille et que c’est moi qui t’ai trouvé sans vie. Mais je n’ai aucun vrai souvenir de toi. Avais-tu des cheveux ou étais-tu plutôt chauve comme quand j’étais bébé ? Criais-tu dans la nuit ? Pourquoi dormais-tu sur le ventre ? Avais-tu eu mal cette nuit-là ? Avais-tu pleuré pour demander au secours ? Avais-tu senti que quelque chose n’allait pas et qu’il te fallait partir ? Tu es et tu as toujours été pour moi, le bébé qui est mort, l’enfant dont on ne parle jamais. Et toi, où es-tu ? Nous vois-tu de là où tu es ? Es-tu contente de n’être pas restée ? Ou aurais-tu préféré être avec nous ? Je n’ai aucune photo de toi et je ne sais même pas si quelqu’un en a une. C’est la première fois que je te parle. Je ne suis pas triste, tu ne me rends pas triste, c’est juste un peu étrange, peut-être m’entends-tu. C’est la première fois que je te parle. Peut-être aurions nous été soeur et amies ? Peut-être aurions-nous été semblables ? Sais-tu qu’il y a eu d’autres enfants après toi ? Sais-tu que nous ne t’avons jamais évoqué ? Sais-tu que notre enfance n’a pas été si drôle et que peut-être…
L’unique chose que je connaisse de toi, est ton prénom, Alexandra, c’est beau.
« C’est la première fois que je te parle »: L’atelier permet aussi cela. Ces expériences humaines que nous revisitons et que nous partageons sont émouvantes. J’aime aussi la sobriété de la forme avec ces 3 phrases en gras (un plan ABA, dirait-on en musique). Merci Clarence!
Très beau texte, très sobre et très émouvant. Merci
Merci Clarence pour ce texte frontal et doux. Pour cette image absente et ce prénom qui traversent tes mots . Cette émotion partagée .
Merci pour ce texte simple, sensible, sincère et généreux.
Très émouvant, toutes ces paroles à l’absence, tout ce qui n’est pas dit, ce qui aurait pu être. Merci Clarence pour ce très beau texte.
Bravo Clarence merci pour ton texte livré, sincère et puissant. J’aime la récurrence de « je n’ai aucune photo de toi », l’emballement des questions et le surgissement de son prénom « Alexandra »qui nous éblouit !