Je ne manque pas de photos. De la famille au grand complet, de chacun de nous en portrait, toutes exposées sur le mur ou rangées dans un tiroir proche. De nos dimanches, de nos sorties, de nos vacances. Comme un symbole, celle que je vois immédiatement aujourd’hui, c’est la photo de toi affichée près du téléphone. Tellement vivante, tellement vraie. Un grand sourire, comme sur toutes tes photos, et pourtant sincère, pas du cheese, montrez vos dents, soyez aimable, non, ton sourire est chaleureux, en lien avec les yeux qui plissent un peu, des yeux gris qui pouvaient être sévères parfois, lancer des éclairs avant de laisser éclater l’orage, toi, la maîtresse femme, qui tenais la famille, la maintenais, la gardais, la sauvegardais. La mission que tu t’étais donnée en te mariant, créer une famille. Et tu avais réussi, tu en étais fière. Tu as même transmis quelques-uns de ces gènes à tes enfants et surtout à tes filles et tes petites-filles. Et dans tes yeux sur la photo, on sent cette fierté. Dans le sourire des lèvres. Dans le sourire des yeux qui pourtant brillent un peu trop, des larmes retenues, une émotion forte. Dans ta main gauche, tu tiens l’écouteur du téléphone fixe… point de smartphone à l’époque, les coups de téléphone étaient rares et précieux… tu le tiens à l’oreille gauche, sur tes cheveux bruns coupés courts et tu m’écoutes, moi, à travers les airs, moi qui suis partie, qui suis ailleurs, qui ai fondé une famille que tu vois peu, une famille lointaine. Tu es heureuse, et triste, tu profites de ce moment privilégié, Noël ou Pâques ou un anniversaire, des occasions particulières, importantes pour nous deux. Tu as compris, tu as renoncé à tes attentes, chacun doit vivre sa vie, mais ainsi tu as renforcé les liens, tu les as tissés, tressés, serrés, et ces liens sont toujours forts, même après toi, ces liens sont restés une évidence pour nous tous, pour tous ceux qui t’ont suivie.