Il y a un an, j’ai reçu un mail titré 50 ans après d’une inconnue avec 9 photos :
Madame,
C’est en ouvrant une vieille boite de photos de mon passé que je retrouve cette petite série chère à mon cœur: témoignage d’une courte et belle histoire…
Fin juillet 1973, j’ai 18 ans… Je quitte ma région parisienne pour partir camper à Porto-Vecchio avec des amis ..
Nous sympathisons avec un groupe de 4 copains, élèves vétérinaires de Maison Alfort et partageons un temps ensemble.
C’et ainsi que j’ai rencontré votre frère……
Tu es mort depuis 35 ans. Elle le sait. Comment ? C’est bien toi. Ta belle tête, tes cheveux longs, tes allures d’indien, tes doigts perdus dans deux accidents d’enfance, tes copains, ton gout de la nature et de la vie sauvage. Elle, ni mes frères ni moi, ne la connaissons, ce n’est pas ta femme. Elle s’appelle Josiane. Ce voyage en Corse j’en avais entendu parler par d’autres copains que j’ai recherchés après ta mort pour qu’ils témoignent dans le livre que j’ai écrit pour qu’on se souvienne. Tu y cherchais je ne sais plus quel oiseau rare, pie-grièche, sitelle torchepot, sitelle corse… mais d’elle je ne savais rien.
J’ai remercié Josiane, proposé de lui envoyer mon livre, elle n’a jamais répondu à la sœur qu’elle appelait Madame d’un amoureux qu’elle ne nommait que votre frère et qui s’appelait Jacques.
J’ai transféré le mail et les pièces jointes à ce qui reste de la famille, mes deux autres frères et nos enfants. Un de mes deux frères a effacé les rayures qui balafraient un des négatifs et j’ai classé le tout dans un dossier « photos de Jacques ».
La famille a explosé après ta mort. Nous n’avons plus revu ni ta femme ni tes enfants. Les parents se sont enfermés dans leur chagrin et puis sont morts. J’ai divorcé, mon frère marié aussi. Ta femme est morte juste après les parents.
Il y a cinquante ans que tu es mort dans un stupide accident de montagne au début de l’été 1989. Tu aimais braver le danger, tu avais réchapé à bien pire, mais là…
J’ai appelé mon livre « Une vie à Puy-Guillaume » ; c’est là qu’a vécu la famille quand elle était unie. C’est là qu’était venue Josiane, sans doute à la Toussaint dit-elle dans son mail.
Après ta mort les parents ont acheté une concession au cimetière pour être auprès de toi. Maman fleurissait ta tombe chaque semaine. Moi, j’y vais de loin en loin, j’y mets des fleurs pour chacun et j’envoie la note à mes frères pour qu’on la partage. On ne partage plus grand-chose. Je jette un œil sur la tombe des parents, du mari et du fils de Dominique, notre amie d’enfance qui a perdu un mari et un fils dans l’accident d’avion que pilotait son mari. Ces deux autres fils sont devenus pilote.
Jacques, je sais que ta fille a épousé un champion de triathlon et que ton fils est devenu médecin. Je ne sais rien d’autre.