#anthologie #02 | une mise en scène

de la vieille cheminée, on devine la gueule de l’avaloir cachée par les pierres taillées dans le granit local, noircies par des décennies de flambées, de combustion des chênes ayant déposé le bistre gras au cœur du foyer, la plaque de chamotte fendillée, des restes de bouts de bois calcinés, odeur de cendre froide. Devant l’âtre, sur la table, un cendrier en étain, un vieux briquet en cuivre, un candélabre en laiton , un coupe papier en argent, un pot contenant un stylo plume Waterman, un critérium, une paire de ciseaux, des papiers froissés, des coupures de journaux, des photocopies de la dernière mouture du dernier écrit, un tout petit personnage nu en bronze lançant une sorte de javelot, fixé sur un bloc de marbre noir et servant de presse-papiers. Dans l’angle à droite de la cheminée, une pendule au balancier rouge vif, étonnamment moderne dans l’ambiance vieillotte du salon, puis, occupant tout le mur jusqu’au plafond, les étagères surchargées de la bibliothèque coulissante, supportant des siècles de textes de théâtre, tout Sophocle, tout Shakespeare, tout Racine, tout Corneille, tout Molière, tout Claudel, tout Beckett surtout et tout le reste, dans des éditions autrefois flamboyantes jaunies par les ans et les usages, tout en bas les boites contenant les dix mille versions de projets dramaturgiques, ou pédagogiques, des plans de scénographies. Contre le mur face à la cheminée, la maquette en contreplaqué d’une péniche spectacle conçue pour accueillir le public sur les bords de la Saône, la ruine d’un rêve inabouti. Tout près de la péniche, enfoncé dans son fauteuil, un vieil homme semble pensif, il tourne son regard vers le quatrième mur de son salon, le quatrième mur de son théâtre intérieur.

Il serait lui-même sur le plateau, interprétant peut-être son dernier rôle, celui d’un homme sentant la mort venir, apostrophant Dieu, aussi bien.

Il serait peut-être lui même le metteur en scène du drame, déplaçant les objets et les meubles de son propre intérieur, parlant doucement à l’acteur, son double, soulignant le détail d’une inflexion de la voix, la justesse d’un geste, retenir la vie, encore un peu

A propos de Nicole Busquant

Un certain goût pour les traces.

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