#anthologie #19 | Rémanences

« Toutes les images disparaîtront. » Annie Ernaux

il y avait, dans le XVème arrondissement de Paris, ce magasin de vêtements pour enfants dans lequel la vendeuse actionnait une poupée qui marchait toute seule pour faire tenir les enfants tranquilles pendant les essayages

dans un atelier d’une tréfilerie câblerie, une douzaine de femmes en blouses bleues rectifient des filières. À l’aide d’une pointe de bois trempée dans de la poudre de diamant, elles élargissent le trou de la pièce pour le mettre à une cote supérieure. Le contremaître derrière son bureau vérifie le travail à l’aide d’un « palmer ». C’est le mari de l’une des ouvrières

dans le sud de Madagascar, des statues en bois avec des verges énormes et dressés. Elles sont destinées à orner les tombes des hommes puissants

les chaussettes noires, les chaussures « cycliste », les jupes « cloche » écossaises  portées avec des bretelles

un invalide de guerre, installé dans un coin de porte, propose aux passants des billets de la Loterie nationale. À coté de lui, c’est une remailleuse de bas penchée sur son ouvrage

les bateaux gonflables, réclames de la marque d’essence Fina. Un original dans l’un de ces bateaux, sur le canal latéral à la Garonne, observe les oiseaux avec des jumelles

une envolée de mouettes, ce sont les cornettes des Filles de la charité, rue du Bac, à Paris

le légionnaire qui gardait la barrière de la plage d’Orangéa, au nord de Madagascar, il s’appelait Georgio, avait des dents en or et toute sa fortune dans la poche de son short : un rouleau de billets maintenu par un élastique

les landaus des bébés poussés par des mères élégantes, au premier soleil du printemps 

le manège dans un des préaux du lycée Camille Sée. Autrefois ce lycée du XVème arrondissement de Paris, accueillait des filles du jardin d’enfants aux classes de propédeutique, d’où la présence de ce manège

les mistrals gagnants, les roudoudous, les cocos Boer, les caramel à un franc, les boules de coco, les bâtons de réglisse, les premiers malabars

tous les matins, à l’internat du lycée Jules ferry de Madagascar, chaque élève trouvait à côté de son bol de petit déjeuner un pain de 400 g entier. C’était sa ration pour la journée

Big Balbo, son orgue de barbarie, Fips son singe animé, son gilet rouge couvert de pins, son manteau écossais, ses rouleaux de musique qu’il avait perforés lui-même. Dans sa première vie, il avait été pilote de ligne

les adolescents, appareillés à la suite de poliomyélite, il y en avait dans chaque lycée, les lépreux sur leur chariot à roulettes dans les rues de Dakar

un homme descend du coteau dans le brouillard matinal, son fusil de chasse à l’épaule. Son chien le suit

les premiers tampons périodiques de la marque Tampax

les vespasiennes du boulevard Saint Germain, elles étaient réputées pour être des lieux de rendez-vous des homosexuels. Il n’était pas rare de voir, à la position de leurs pieds, deux hommes penchés l’un vers l’autre. Elles ont été démolies

la chanteuse de rue dans la cour intérieure d’un bloc d’immeubles « du gris que l’on prend dans ses doigts et qu’on roule / c’est bon, c’est fort, c’est âcre comme du bois,/ça vous saoule », les fenêtres qui s’ouvrent, les gens qui lancent des pièces, certaines emballées dans des morceaux de papier pour éviter qu’elles ne se perdent, merci, merci, « je sens que mon âme s’en ira moins farouche / dans la fumée qui sortira de ma bouche »

ne pas confondre secouer les nouilles et se nouer les couilles

« si j’aurais su, j’aurais pas venu »

A propos de Emilie Kah

Après un parcours riche et dense, je jouis de ma retraite dans une propriété familiale non loin de Moissac (82). Mon compagnonnage avec la lecture et l’écriture est ancien. J’anime des ateliers d’écriture (Elisabeth Bing). Je pratique la lecture à voix haute, je chante aussi accompagnée par mon orgue de barbarie. Je suis auteur de neuf livres, tous à compte d’éditeur : un livre sur les paysages et la gastronomie du Lot et Garonne, six romans, un recueil de nouvelles érotiques, un récit hommage aux combattants d’Indochine.

2 commentaires à propos de “#anthologie #19 | Rémanences”

  1. Fascinantes évocations d’une époque révolue et qui fait rêver à un paris quasi Mythologique pour le quarantenaire que je suis. Et puis cette chute la guerre des boutons ! Merci pour toutes ces images qui resteront

  2. Oh merci Camille ! Paris a bien changé depuis mon enfance. Mais chaque génération ne fait-elle pas revivre la ville à sa façon ?