{Codicille — j’ai déjà participé à la proposition du cycle #autobiographie en décembre 2021 et vous trouverez mon texte Soixante fragments sans conséquence en cliquant ici. Au lieu de reprendre ces fragments et de leur adjoindre une nouvelle couche, je préfère en choisir quelques autres pour avancer dans un projet qui prend forme avec cet atelier. Il s’agit d’un homme qui revient en arrière pour repartir à zéro…}
Je regardais sa silhouette repartir d’où il était venu. La tête penchée en avant sur ses pieds qui avançaient sans conviction, le regard cherchant sur le bitume une ligne à suivre, les épaules basses et fatiguées. Avant de partir, il avait sorti une épaisse enveloppe de sa poche intérieure et l’avait posée sur la table. Il avait juste posé ses yeux dans les miens en faisant glisser du bout de ses doigts le rectangle de papier kraft sur le plateau en bois. Il tournait déjà au coin de la rue lorsque j’ai sorti les quelques photos qu’elle contenait.
L’image du dessus était une carte postale. Dans le coin supérieur gauche, un timbre oblitéré de vingt centimes représentait une semeuse sur un fond mauve, seule couleur vive d’une photo en tons de gris. La mer dans la partie gauche de l’image, des îles au loin, une côte escarpée, un promontoire, une maison ronde, un poteau électrique à droite au bord d’une route imaginée, une inscription en bas « photo Mireille ». Au dos, cette inscription imprimée « Bouche-du-Rhône (sans s) Marseille La Corniche Le Marégraphe). Et ces mots écrits au crayon sans adresse ni signature « là où se mesure le monde ».
La photo suivante était en hauteur, en noir et blanc elle aussi, des petits trous à chaque coin trahissaient un affichage avec des punaises. Un père et son enfant regardant passer un défilé militaire. Joie de l’un, fierté de l’autre. Ou le contraire. Se peut-il que les mains simplement posées sur les épaules d’un enfant aux yeux écarquillés qui regarde passer des soldats marchant au pas aient pu orienter de façon significative le parcours de celui-ci ? Ce n’était pas écrit au dos de la photographie. Il n’y avait rien d’écrit.
Un corps allongé fait plâtre sur un lit d’hôpital. Photo couleur, photo en blanc et blanc. Blancs les murs, le carrelage, les draps du lit, la lumière surgissant de la fenêtre. Une jambe tendue surélevée et suspendue à une potence. Blanc le plâtre en forme de corps. Blanc l’esprit qui a frôlé la mort dans le choc frontal de la tête casquée avec le platane traversant, blanc le corps enroulé comme une liane sur le tronc autoritaire d’une vie en question. Photo en blanc et blanc comme la dernière page vierge d’un livre bien trop peu fourni. Ou pas.
Une autre carte postale. L’intérieur d’une grotte, des dessins rupestres aux couleurs usées, une silhouette à quatre pattes sur une paroi beige. Un loup, un chevreuil, un sanglier ou un mammouth édenté. Des empreintes de mains comme un enfant de quatre ans s’amuse à faire à la maternelle. « Grotte Chauvet Vallon Pont d’Arc » apprend-on au dos. « Pourquoi n’es-tu pas venue ? » y lit-on également. Sans adresse. Aux bons soins du vent, du temps ou du moment.
Bébé gras et dodu posé nu sur le ventre. Amour adipeux sur son lit de tissu floral, sauce sucrée en garniture de sourire. Cupidon après la fête. Et les murmures pleins de miel qui s’échappent du tirage mat et gaufré. Mmmm, les yeux de sa sœur, le front de sa mère, la bouche de son père, le menton de son grand-père. Le pedigree comme une première entrave.
Elle. Un visage coupé en deux par un coup de ciseaux, une moitié de souvenir. Un si bel œil, une oreille fine, une mèche de cheveux noirs tombant sur une épaule osseuse, un coin de bouche au goût oublié.
J’ai remis les quelques photos dans l’enveloppe et j’ai regardé le jour qui commençait à tomber sur la ville. Je me demandais où il était allé.
… accrochée par ce messager qui disparait et les traces qu’il laisse…une invitation à entrer au dedans de soi, aussi.merci.