La façade du Triomphe où pour le prix d’un ticket on pouvait voir deux films: un de karaté et un porno. Les hommes qui attendent à quelques mètres dans le square, qui hésitent, qui regardent derrière leur épaule, qui entrent finalement après avoir jeté le mégot de leur gauloise
La R10 Gordini garée sur le trottoir de la rue centrale. « Regarde ! Une Gordini. » La carrosserie bleue, les deux bandes blanches sur le capot. Et les hommes qui disent « une Gordini » sur le ton d’un « Je vous salue Marie ».
L’affiche des Verts de 1976, décolorée par le soleil, au-dessus d’un établi dans une usine de passementerie désaffectée.
Les boîtes en fer blanc Farine, Sucre, Riz, Café sur le buffet.
Le menu des noces de diamant des arrières-grands parents, dans un restaurant de Firminy, le Pavillon je crois.
La barque accrochée à son anneau, totalement immergée depuis des années.
Le livre Femmes en deux volumes, couverture crème, sur l’étagère du haut, inaccessible.
La 504 break diesel, garée là où un jour était garée une R10 Gordini ou une R8, comment se souvenir?, du coffre de laquelle sort un chien boxer, ou une chienne.
La chemise verte à rabat sur laquelle était dessiné un visage ne ressemblant à personne. Le nom de la classe était noté, 3è B ou quelque chose comme ça. À l’intérieur était recopié un poème.
Le pantalon pattes d’éléphant en velours orange qui était porté avec quel type de chaussures?
Les lunettes de soudeur, posées sur l’établi au bois gras, dans l’atelier éclairé par un néon qui clignote longtemps avant de se fixer pour donner une lumière blanche. Comment prend-on la photo d’un néon qui clignote?
Les roses commentées chaque année car elles n’éclosent pas au même moment et ne viennent pas du même endroit, regarde comme elles sont belles, nous les avions achetées à la roseraie de M. avec ton père.
La prison, rasée. Sur son emplacement, aujourd’hui, l’université.
Le camion de livraison de celui que j’ai toujours entendu appelé « le grand-père ». Il livrait du vin. Partout. Dans les auberges, dans les fermes, dans les bars, et il y en avait des bars.
Ta tête, au théâtre où tu n’allais jamais, au théâtre où nous étions pour voir Piccoli que tu adorais dans Minetti, au TNP, oui, ta tête à la fin du spectacle, au moment précis où tu répondais à « ça t’a plu? », non pas à ce moment précis, juste avant, lorsque tu préparais ta réponse et qu’elle s’affichait sur ton visage dans cette moue qui l’annonçait, « bof ».
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