#anthologie #18 | 8 usages du pixel

La capture d’écran

J’écoute Fip Groove quand je marche en ville. Quand j’aime particulièrement un morceau, je fais une capture d’écran pour conserver la référence du morceau qui va ensuite rejoindre l’album « Good Tunes » sur mon téléphone puis la playlist que je constitue chaque année sur Spotify. Tout cela pourrait sûrement être automatisé si mes appareils étaient connectés, si mes applications se parlaient entre elles mais je ne le souhaite pas vraiment. Car la capture d’écran du morceau préféré conserve aussi la trace d’un titre musical mais aussi des références annexes (fragments d’actualité, programmes des autres chaînes) qui serviront peut être un jour.

28 juillet 2024. 19:27. Fip Groove: Joan As Police Woman. Steed

La photo au hasard

Je joue du saxophone dans un orchestre et profite des mesures à vides pour rendre des photos au hasard de l’orchestre : le chef qui se dandine devant moi, mes voisins, les ténors et le soprano, les trois petits tubas derrière moi. Les clichés pris dans la précipitation sont souvent ratés mais parfois, on y voit parfois des visages plongés dans la musique, oublieux d’eux-mêmes et concentrés.

La scène de crime

Mon compteur à gaz est très mal placé en bas au fond du placard de l’entrée derrière la table à repasser et les sacs de piscine. Pour relever le compteur, je glisse mon bras dans le fouillis du placard et prend une photo au flash. L’image est crue comme les photos d’une scène de crime. Tout y est sens dessus dessous et salement arrangé, blafard et désarticulé. Le compteur à gaz au flash, c’est le réel inanimé qui te saute à gorge. 

Notes visuelles

Je me sers de mon téléphone essentiellement pour prendre des notes visuelles. Ce sont des photos de mauvaise qualité car depuis que je l’ai laissé tomber et que la lentille de verre est brisé, toutes les photos sont voilées d’un  halo iridescent. C’est l’essentiel de mon activité photographique : la couverture d’un polar que j’aimerais lire, un bout d’article, les horaires d’ouverture de la piscine, l’adresse de M, la taille d’une vis à acheter, le code WIFI du logement Airbnb. Quand le téléphone, qui vit sa propre vie de machine,  propose de nettoyer la galerie de photos pour la délester de quelques millions d’octets, ces notes visuelles sont toujours rangées dans la catégorie « photos prises par erreur » ce qui est absolument faux car ces clichés sont au contraire intentionnels, purs renvois vers une réalité au-delà d’eux-mêmes.

La photo héritée

Via les applications (WhasApp, Telegram), je retrouve à mon insu dans ma galerie des images qui ne sont pas les miennes. Je sais bien qu’on peut désactiver la fonction de téléchargement automatique des images mais j’aime ces photos héritées. Dernièrement, j’ai reçu des photos d’archives du club que je pratiquais l’aviron au début des années 1990 et des photos d’enfance de C.. J’ai aussi des photos de gens que je ne connais pas, prise lors d’un apéro de plage où je ne suis pas allée. Ces photos héritées fabriquent des souvenirs empruntés aussi frelatés et authentiques que les vrais.

La photo d’identité moche

Ne pas sourire, regarder droit devant, dégager le visage en attachant les cheveux, rien de tel qu’une photo d’identité pour se sentir incroyablement moche. Et cette mocheté va durer 10 ans, la durée de validité d’un passeport. Avec le temps, la mocheté photogénique va s’adoucir car on s’habitue à tout. Et on a aussi tendance à idéaliser le passé. 10 ans après rebelote, la même mocheté resurgit, durcie par le temps, indestructible.

Le selfie ferroviaire

J’aime voyager en train et prendre en photo de beaux paysages en mouvement. Faute d’un appareil adapté, c’est souvent sans intérêt comme un coucher de soleil sur la mer. Alors je prends un selfie pour saisir le reflet fugace du pays traversé dans celui accessible et immobile de mon visage. C’est également sans intérêt mais ça m’occupe.

La photo oubliée

Je prends très rarement des photos de voyage, de photos de spectacles ou des coulisses, de photos de retrouvailles amicales ou de diners de famille, de répétitions ou d’expositions, de feux d’artifice ou d’arbres remarquables. Je prends rarement de photos qui fixent l’instant. Ce n’est pas un principe, c’est simplement un oubli dont je ne suis pas fière.  

A propos de Geneviève Flaven

Je suis née à Paris en 1969. En 2001 à Nice, j’ai fondé une agence de conseil en design puis suis partie à Shanghai pour développer mes activités. Le départ en Chine m’a mené vers l’écriture et la publication. Depuis mon retour en France en 2019, je me consacre à la création et à l’animation de projets collaboratifs de théâtre documentaire en France et dans le monde. Théâtre : The 99 project (http://www.the99project.net/ ) Blog de mes années chinoises : Shanghai confidential (https://shanghaiconfidential.wordpress.com/)