#anthologie #19 | La partie de pêche

rien ne distingue les souvenirs des autres moments

la rivière recouverte de lentilles à Ardillères, si denses qu’on croirait du sol en dur

les cèpes sur le sentier du bois, énormes, étourdissants de volume, si bien qu’on avait d’abord pensé qu’il s’agissait de souches d’arbres échouées à même le chemin

la rivière et la canne télescopique, jaune, du grand-père qui atteignait presque l’autre rive

les berges où l’on s’asseyait pour attendre la touche

l’odeur de l’appât X21 La Sirène dans le seau en plastique du père. Il fallait mouiller la farine pour former des boules de la grosseur d’un oeuf ou d’une orange et les jeter sur la zone de pêche. Passer la journée la tête dedans à respirer sa puissance d’attrait comme un poisson

les boites d’asticots blancs et rouges qui grouillent dans la sciure et qu’on tripote toute la journée

la vieille 205 beige garée plus loin, le coffre grand ouvert sur la glacière quand il faudra casser la croûte et écaler les oeufs

la vieille peau qui fait ses mots fléchés en attendant

les couvres-sièges en billes de bois qui laissent des marques rondes à l’arrière des cuisses

le moulinet qui chante sur un départ de sandre

les corps d’André et de Jean à l’unisson de la rivière, à l’ouverture de la truite

Hélène qui se fait bronzer au bord de l’eau

les levers de soleil dans la cabane de pêche du père Martin sur la Boutonne à Bel-Ébat

les gardons, les ablettes, les goujons, les carpes, les perches franches, les tanches, les anguilles, les brèmes qu’on mettait dans la cage de filet de pêche pliable en acier inoxydable

l’épuisette pour les brochets qu’on relâchait toujours. On pêchait surtout pour le plaisir de savoir lire une rivière

rentrer et chercher encore des cèpes au pied du chêne centenaire

A propos de Camille Bréchaire

Camille Bréchaire vit et enseigne la littérature à Angoulême. Il lit et écrit dès qu’il le peut.

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