Savez-vous que les adolescents tiennent encore leur journal sur des carnets (avec petit cadenas parfois), qu’ils les cachent dans leur chambre (sous le matelas) ou les gardent toujours avec eux dans leur sac ? Savez-vous qu’ils sont à peu près aussi nombreux qu’il y a trente ans et que les garçons le font aussi (moins que les filles) ? Savez-vous que désormais des applis sont disponibles pour tenir son journal et l’agrémenter de photos, emojis, etc., et que le feuilleton argentin Violetta n’est pas étranger au mouvement ?
J’étais ce week-end aux journées de l’association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographique et j’ai entendu des adolescents lire des fragments de leurs propres journaux ! Leurs mots m’ont touchée, je m’y suis reconnue dans une humanité commune alors que Les années ne me parlent pas.
Biographie autosociobiographique froide et distanciée malgré le Je. Femme agie, plus qu’agissante; trop collée à l’époque, aux conditions sociohistoriques qui si vite ne parlent plus à personne; jusqu’à la disparition du Je ou du Elle. Malgré son strict respect du pacte autobiographique de Philippe Lejeune son fondateur, le contrat tacite de vérité entre l’auteur et le lecteur, l’APA reconnaît aujourd’hui Annie Ernaux comme l’une des siens. Pas Doubrovsky. Suis-je capable de lire Annie Ernaux en sympathie, autre mantra de l’APA ? Parfois, elle me met en colère de se montrer comme la victime qu’elle n’est pas d’un milieu et d’une époque.
L’Annie Ernaux qui me plaît c’est celle de Passion simple. Une femme vivante, une ado écrivant son journal à fleur de peau :
« le latin, l’anglais, le russe appris en six mois pour un Soviétique et il n’en restait que da svidania, ya tebia lioubliou karacho »
Il y a dans les albums photo, pour moi, cette même dimension glacée, impersonnelle, et terriblement datée qu’il y a dans les textes d’Annie Ernaux. Tout s’effacera, mais j’aimerais bien rester vivante jusqu’au bout. Ce que fait Annie Ernaux d’ailleurs, ailleurs que dans ses livres. Dans son journal, peut-être ?