#anthologie #23 | Chrisme

Parfois la fillette imaginait que les deux étages de sa maison s’emboîtaient parfaitement au Rez-de-chaussée, comme s’emboîtent les briques de Lego, lorsqu’il ne manque rien. Mais parfois, elle modifiait les plans ; par exemple, sous les marches des escaliers conduisant au premier étage, elle prévoyait l’ emplacement d’une porte qui aurait pu s’ouvrir sur des escaliers conduisant aux souterrains. En bas, elle imaginait simplement une cave idéale, regorgeant de bocaux de mirabelles, de terrines de pâté de lapin, de pots de confitures de mûres et de groseilles, une cave proprette, sans tas de charbon, sans rats, sans autres bestioles dégoûtantes.

Mais plus bas, sous la cave, les choses auraient commencé à perdre de leur netteté. D’abord, il aurait fallu se pencher un peu en avant pour pouvoir avancer dans l’étroit boyau creusé dans la roche. Et puis, il aurait fallu supporter d’entendre des bruits étranges, sourds, des sortes de brefs gémissements étranglés, sans pouvoir en déterminer l’origine. Le boyau se serait soudain ouvert sur un cube immense de béton, vide.

Plus bas encore, il aurait fallu enjamber des centaines de corps alignés au sol ; chaque individu aurait été emmailloté jusqu’au cou ; il n’aurait pas fallu écraser une tête, dans la hâte de quitter ce lieu sordide.

Et plus bas encore, il aurait à nouveau fallu s’avancer arc-bouté entre les cavités creusées à même la roche, en progressant dans un labyrinthe de gorges s’enfonçant toujours plus profondément dans la terre, débouchant parfois sur une sorte de place, plus haute, délimitée par les parois de calcaire ; à condition de ne pas avoir oublié la torche, on aurait pu alors apercevoir de mystérieuses inscriptions profondément gravées dans la roche, des sortes de lettres bâtons, tracées à la manière peut-être d’un chrisme.

A propos de Nicole Busquant

Un certain goût pour les traces.

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