#anthologie #18 | photos supprimées

La dépouille du jeune merle trouvée dans le potager, au matin, puis le cri de l’enfant : un oiseau est mort ! Là ! Il est mort ! Ici on a l’habitude de les enterrer et de leur rendre un dernier hommage. Il y a un cimetière d’oiseaux à qui on donne des noms. Il y a deux ans, en été, nous avons inhumé Campagne, Plante et Menthe. En hiver ce fut au tour de Mimi et de Pissenlit… Comment veux tu nommer celui-ci ? Quelques instants de réflexion avant que le nom sorte de la bouche d’un coup, sans incertitude : Plume ! Nous creusons un petit trou à côté des autres, construisons une pancarte avec le nom de Plume inscrit à la peinture à huile, en bleu foncé.Nous allumons une bougie, nous recueillons puis recouvrons le corps de terre fraiche et de pétales d’hortensias. C’est à cet instant que l’enfant prend la photo. 

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J’ai cru à une vision, une chouette blanche, surplombant les rues du quartier, en pleine nuit, perché sur un lampadaire. Je suis le seul à la remarquer. Le temps de prendre l’appareil, elle s’est envolée. J’imagine la photo que j’aurai pu faire.

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Le mendiant exposant son enfant difforme, passant d’un restaurant à un autre, implorant la pitié. L’enfant, pas si jeune, se cache de honte sous un drap. Son père l’enlève de force à chaque client croisé. Il faut montrer le monstre pour un peu de monnaie. Je voulais prendre les mains de l’enfant agrippées au drap sur son visage. 

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Le cercueil porté par ses proches. Il quitte sa demeure du district 4. Une famille, trois générations côte à côte, tous vêtu de blanc, bandeaux autour de la tête, tous alignés au bord de la route. La probable veuve, au milieu, porte la photo du défunt, Une femme pleure. Sur ma moto arrêtée, j’ai pris furtivement la photo sachant que je ne la publierai jamais.

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C’est l’heure du retour. Les motocyclistes s’impatientent au feu rouge. À la fenêtre du taxi, une étrangère baisse la vitre. J’aperçois son appareil photo, l’objectif pointe un musicien sur le passage piéton. Il souffle par le nez dans sa flûte. Il me semble reconnaitre l’air joué. Je prends la photo de la femme prenant la photo du flûtiste.

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Une dame se promène en ville avec un haut parleur connecté à un micro. Elle s’arrête à chaque trottoir, son enceinte par terre. Elle chante des chansons contre la guerre, imitant la voix de Khánh Ly. Je prends la photo de sa bouche chantante, face au cordonnier qui l’ignore.

A propos de Anh Mat

Né en 1982 à Toulouse. 24 ans après, départ pour Saigon où je vis et écris. Errances littéraires et audiovisuelles sur le web depuis 2013. « Il y a quelqu’un », nouvelle (revue nerval) « Monsieur M », roman (publie.net) « cartes postales de la Chine ancienne »,poésie (éditions Qazaq) « Retour sur soi » éditions Qazaq » « au sujet de la vidéoécriture » (revue Oeuvres ouvertes) « Người nước ngoài » revue Dires résidence numérique sur Glossolalies.net, programmé au festival « extra LittéraTube », Beaubourg contributeur régulier chez « les cosaques des frontières » anime le site www.lesnuitsechouees.com

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