#anthologie #18 | Had been

Je n’oublie pas que j’ai été sauvée de mon orphelinage tôt grâce à des photos. Trouvées dix ans après, elles ont permis de faire un peu de deuil – la mémoire à peine formée et la chape de plomb recouvrant la disparition ne le permettant pas – en donnant un semblant de réalité à cette vie d’avant où la mère était là. Dès lors parmi ces images devenues souvenirs en propre, le passeport retrouvé, avec sa photo d’identité où elle semblait déjà comprendre ce qui lui arrivait, triomphalement prouva son existence.

Usage 1 : développer des photos de famille :  des moments importants (mariages etc), comme de tout petits moments dont moi seule me souviens et qui remonteront peut-être à la mémoire des 2 ou 3 personnes concernées représentées si elles sont jeunes. Développer des photos d’amis : retrouvailles, pots pris ensemble, occasions de fêtes, de moments de peinture ensemble, de visites, d’actions faites ensemble, j’y tiens beaucoup, les amis sont essentiels pour moi. Pourtant la famille, elle, ne disparaît pas, enfin dans mon entourage, elle se reproduit. Photos de moi : à une époque, comme plus personne ou accidentellement ne prenait de photos de moi, je me suis constituée un stock à pour voir à quoi je ressemblais et si j’existais encore.

Usage 2 : garder des prises de vues sur l’ordi qui propose en permanence l’éclairage par en-dessous des anciennes tables lumineuses. Artistiques par eux-mêmes :  tableaux, dessins, photos, objets, ou de mon fait : bouquet, porche, ombre. Quelquefois développées, alors perforées et enfilées dans un anneau, nouées par raphia, en éventail  comme les échantillons de tissus.

Usage 3 : consulter :  les albums par moi constitués, étiquetés actuellement jusqu’à 40. Mais ralenti net maintenant. Option actuelle : albums d’une trentaine de photos regroupées par période : ainsi « Printemps 24 », imprimée par une entreprise. Dans le passé,  espace-trou de quatre années où j’avais décidé de me servir de la tablette comme d’un album, or quand j‘ai bien assimilé que réuni en un seul objet, je pouvais perdre tout, et que l’obsolescence de la technique pouvait me rattraper : il fallait en faire copie, j’ai abandonné.  Les albums hérités, quelquefois obscurs : des inconnus, ces ascendants, juste au nom de famille on voit que je ne les ai pas achetés en brocante. D’ailleurs souvent j’en suis tentée ! Ces archétypes de familles bourgeoises à la plage, naissance de bébé, etc. fascinant : totalement autre et si même. Quelquefois mines d’or, qui ne le seront que pour moi : des inconnus, ces ascendants d’ascendants, diront mes descendants. Organiser une visite avant que ces mondes passent, trépassent, et… s’effacent.  Je m’étonne que des photos du siècle dernier tiennent toujours. Qu’en sera-t-il pour les générations ultérieures ? En fait tout est là : photos-traces pour soi, et virtuellement pour d’autres, qui pourront de moins en moins accéder, ce n’est pas une question de vie ou de mort, comme cela a été pour moi à une époque. Ou alors, mort d’un monde, mais en cela, les photos sont fidèles.

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