Photomaton. Photos d’identité réservées aux documents officiels, carte d’identité, carte de transport, où obligé de faire la gueule. Pas une mèche, pas un regard ne dépasse, ni un sourire. Aucune aspérités, nulle personnalité ne doit transparaître. Dépersonnalisés donc.
Photo de famille. On avait fait l’effort de tirages au début, d’albums photo, d’embryon narratif, d’un début de vie, d’un carnet de naissance. Après, stockées n’importe où, CD-Rom et DVD, clé usb, disque dur externe, mémoire d’ordinateur, de smartphone, de tablette. Démultiplication des espaces de stockage (et dans le même temps, numérisation des vieilles et très, voire très très vieilles photos argentiques).
Qui pour leur créer un nouvel album des 18 ans, qui pour une rétrospective, comme un accéléré d’instantanés, triés sur le volet, classés, rangés, leur choix ou le nôtre ?
Photo de blogging, de travelling. Photographier ce qu’on mange, au début à l’arrache, sans calcul, sans recul, sans soin particulier, avant prises de vues plus recherchées, mise en scène dans l’assiette, stylisme culinaire, ça voulait dire manger froid, en décalé, ne pas s’attabler. Et au restaurant, shooter sous toutes les coutures, déplacer son assiette, pour la lumière, pour meilleur angle de vue, photo flatteuse pour l’ingrédient phare. Et nappages voluptueux, sauces exubérantes, que ça déborde, que ça se repande. Food porn.
Selfies. Version hyperconnectée des autoportraits, aussitôt capturés aussitôt postés sur les réseaux. Reflet de quel degré de narcissisme, de quelle nombriliste existence. Je suis en photo sur Facebook, instagram, x.. donc je suis. Nomme-moi, tague-moi, like-moi pour que j’existe.
Nudes. Le genre private du selfie, version imagée des sextos, pour plus que séduire, allumer, brancher, cette autre façon d’exister dans le désir voyeur de l’autre. Cette façon de draguer, photos plus ou moins déshabillées, plus ou moins explicites postées sur tinder, adopte, gleeden. Ou autres sites de rencontres, de libertinage, le nude s’offre comme une version immédiate, autonome, urgente de la photo érotique ou pornographique.
Photo érotique et pornographique. Du nude à la photo de nu, pour apprivoiser son image, celle de son corps, une histoire d’acceptation, il n’y a qu’un pas. Mais à la photo érotique, ou même pornographique, il y a un pas de géant, selon où l’on place le curseur (la photo de boudoir, ce stade zéro de l’érotisme). Il est alors question d’acceptation de sa sexualité et non plus seulement de son corps. Quitte à la mettre en scène. C’est une autre façon de s’afficher, de s’affirmer comme acteur sexuel et politique, puisque le sexe, les préférences et pratiques sexuelles, le genre sont politiques.
Photo artistique. Avec la photo numérique, tout le monde peut s’improviser artiste. Dis moi quel APN tu as, je te dirai quel artiste tu es. Recadrée, retouchée, retravaillée sur photoshop, lightroom, ou seulement bidouillée avec l’appli dédiée du smartphone, la photographie se lisse et se libère de ses carcans techniques et chimiques. Ou montages, collages numériques se métamorphosent en autre chose
Artisanal, classy, plus proche de l’art graphique, l’argentique a (re)conquis ses lettres de noblesse depuis le numérique. On dit vraie photographie comme on dit vraie recette en cuisine. Cette distance que l’on met avec la modernité excessive, ou comment l’on privilégie un certain savoir-faire, et l’authenticité de la tradition…
Quant au pola, conserve son charme, celui de l’instantané, non retouché, gardé brut. L’un comme l’autre assument l’erreur, quand le numérique tend à la corriger.
IA, photographe ? Quelle vertu exploratrice, quelle dimension créatrice, cette forme « d’intelligence », utilisatrice des ressources numériques humaines mais dont les humains s’inspirent aussi, quelle évocation d’un pseudo-art pour justifier la génération d’images à partir de photos existantes, ce qu’on nomme magie plutôt que technologie.
Est-ce réellement de l’art ou le seul artefact de la technique ?
Ton « food porn » donne envie de creuser cette question, qui m’intrigue vraiment, comme si on prenait davantage de plaisir (ou moins de honte à avoir du plaisir puisque partagé avec les personnes qui te « suivent ») à manger une fois le devoir accompli de photographier (de fixer pour se confirmer à soi-même que oui j’ai bien mangé, oui c’était bon et oui j’ai mangé).
Je ne sais pas si la honte est un ressort. Ça dédouane en quelque sorte peut-être pour le partage de plats qu’on mange. La démarche est sans doute un peu différente pour ce qu’on cuisine. C’est presque le partage de quelque chose de créatif voire d’artistique, qui rejoint un peu nos partages littéraires, poétiques etc…