C’est au bar d’un théâtre ; ce doit être celui du Théâtre du Rond-Point à Paris, c’est au début des années 80 puisque Madeleine vit encore. Marguerite doit attendre Madeleine ou bien… parce que Marguerite n’attend personne ( sauf Robert. Robert Anthelme elle l’aura attendu, longtemps.)
Marguerite est assise sur la banquette de velours rouge et je l’observe. J’aurais pu m’asseoir à la table voisine, j’ai préféré rester à distance: invisible. Je suis émue. Je tremble.
Devant elle une tasse de café; les mains baguées de Marguerite jouent avec la petite cuillère, plutôt les mains de Marguerite jouent avec la lumière réfléchie par la petite cuillère et Marguerite sourit.
Adossée au pilier je regarde Marguerite Duras. D’où je l’observe elle ne peut pas me voir : je la vois. Surtout je peux l’entendre. Soudain elle appelle le garçon: c’est Anne-Marie Stretter ou bien… C’est Vera, Vera Baxter… et nous sommes dans une baie, il suffit que je ferme les yeux…
Elle a hélé le garçon, elle n’a pas eu besoin de hausser le ton; la voix de Marguerite impose silence : les bruits se terrent sous les inflexions de Marguerite.
Elle demande au garçon si dans le jus de tomate il y a de l’alcool, elle dit: l’alcool ce n’est plus possible – vous comprenez n’est-ce pas, si je bois une seule goutte je meurs. « Je ne peux plus boire : jamais ». Ce sont les mots de Marguerite que j’entends ce jour-là dans le bar du théâtre où je suis venue rencontrer un metteur en scène « pour une scénographie d’une pièce de Duras », il avait dit : Vera Baxter.
Un homme rejoint Marguerite. Il a les cheveux longs. Il porte des dossier: Posez ça là dit Marguerite. J’apprendrai que c’est Yann. Yann Andréa, tu ne vois pas ?
Je suis à distance. Je l’observe et je l’attends.
Tout en moi attend Marguerite.
Tout en moi l’appelle… comme dans la cave à Nevers sous la fenêtre sur le pont du bateau dans le couloir peut-être… Je voudrais qu’elle me voie.
« Je voudrais que vous me demandiez de vous rejoindre. Il faut que je sache, vous comprenez. C’est une question de vie ou de mort, vous le comprenez n’est-ce pas… »
Et Madelaine arrive. Yann se lève pour laisser passer Madeleine. Marguerite et Madeleine rient.
Plus tard l’homme me rapportera les paroles de Marguerite Duras. Quand tu as traversé le bar du théâtre elle a dit : vous travaillez avec elle ? la fille, la grande, qui passe là, vous la voyez n’est-ce pas ? elle a quelque chose; c’est une allure je crois – … si, si je t’assure elle l’a dit – m’avait rapporté l’homme. Raconter cette histoire c’est un peu prétentieux cependant la jeune femme de cette époque n’existe plus ; l’image a passé; reste le souvenir des quelques mots de Marguerite Duras dans une autre voix que la sienne.
8 commentaires à propos de “#anthologie #17 | la voix de Marguerite dans le bar du théâtre”
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Très beau, l’impression d’y être… Merci pour ce partage
Merci Muriel .
Quelle densité, une scène cinématographique, psychologique, littéraire, humaine, j’aime la force qu’il faut pour retenir, et la silhouette, celle qui voit est vue, juste.
nous avons toi comme moi visité Marguerite … Merci Catherine
Merci Nathalie pour ce très beau texte, de ce partage du moment de la rencontre. Quelle intensité, on y était… dans un livre de Duras…
On croirait un de ses films, et trembler, être émue d’une telle proximité, on l’est aussi. Très beau texte, merci
un vrai ravissement
Merci Perle et merci Piero