#anthologie #17 | sur le port d’Alger (extrait de carnet)

Alger, 14 mars 1936

Ce matin, il m’a invitée à boire un café en terrasse. C’est la troisième fois que je le croisais sur les quais. Je ne loge pas très loin chez une amie. J’adore flâner dans le port d’Alger. Les tonneaux, les navires, les travailleurs. Toute une activité qui m’arrache à ma solitude et attise mon désir d’ailleurs. Ce matin, des acrobates animaient le port, détournant le regard des dockers, débardeurs et autres journaliers qui s’affairent comme chaque jour sur les quais, accrochant un sourire sur les visages. Il était là, comme les deux autres matins. Il souriait, de temps en temps levait la tête, fermait les yeux, comme pour se gorger du soleil froid et bleu. L’hiver était encore là mais l’atmosphère était douce. Il me dirait plus tard avec une grande mélancolie que ce serait le dernier hiver qu’il allait passer à Alger. Quand je l’ai croisé pour la première fois il y a deux jours, je l’ai tout de suite reconnu. Cigarette au coin de la bouche en veste et cravate, et un grand manteau col relevé. La semaine dernière, mon amie m’avait emmenée voir une pièce au Théâtre du travail. Ce visage, je ne l’aurais oublié pour rien au monde… C’est moi qui l’ai abordé, maladroite et intimidée mais depuis quelques temps, j’avais décidé de suivre mon désir. Vous venez souvent, ici ? Et on a échangé dans l’activité du port. Des banalités. Et puis il a levé à nouveau la tête vers le soleil, il a fermé les yeux, il a soupiré. J’aime le soleil sur les quais, cet hiver unique, ce froid bleu. On s’est tus et on est restés comme ça sur le quai, adossés aux collines et aux maisons blanches sous le soleil délicat comme il disait. Et puis il m’a proposé de boire un café. L’air était doux. Il s’est animé. Je le regardais. J’aimais sa ferveur. Il m’a raconté le Théâtre du travail et je lui ai confié mes désirs d’ailleurs.

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !

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