J’adore la regarder regarder le monde depuis sa fenêtre qui donne sur les jardins du Palais-Royal, provinciale au cœur de la capitale, c’est tout un petit monde familier de proches et d’amis en contrebas. C’est elle qui le dit, le Palais-Royal est une toute petite ville de province dans Paris. Tout le monde s’y connaît et s’y parle. Paris de sa fenêtre prend une autre couleur, je trouve. Et ce n’est pas Jean Cocteau qui me contredira.
J’arrive au 9 rue de Beaujolais. J’y déjeune avec Colette et son cher Jean. Avec Jean et sa chère Colette. Nous y goûterons des plats simples et savoureux, de ceux qui ont leur préférence à tous deux. La mousse au jambon, aérienne, suave, un appareil à soufflé en réalité, c’est un mets d’une grande légèreté à base d’ingrédients à la portée de toutes les bourses. Et en dessert la fameuse flognarde des privations de la guerre, que Colette a popularisée auprès des femmes pour faire face aux pénuries. Il faut trois fois rien : farine, œuf, lait, pommes, un rien de sucre pour caraméliser cette grosse crêpe roborative mais irrésistible. Cette petite couche de sucre croustillante, nous en raffolons tous les trois. On est certes loin du Grand Véfour ou du menu Goncourt de chez Drouant, du homard de l’une et du turbot de l’autre, mais il y a un temps pour la haute gastronomie et un temps pour la cuisine paysanne. Souvenir d’enfance, recette de tresse chapardeuse – sa couleuvre de cheveux – au verger ou flânerie gourmande de vigneronne de la Treille-Muscate, le repas s’accompagne d’un bon vin, de Bourgogne bien sûr. Aujourd’hui Colette me baptise au Nuits-Saint-Georges, une première ! Tu penses, je n’ai pas les moyen de me payer un tel cru, moi. Mais elle connaît tellement de monde partout, et tant de bons vignerons. Jean ne se contentera d’eau minérale aujourd’hui, il ne laissera pas sa part au chat (de son amie). Plus tard dans la soirée, il nous préparera un cocktail au pifomètre, qu’il accompagnera d’un cigare, une esquisse au trait, un portrait minute de Colette à mes côtés pour nous immortaliser. Je me regarderai alors comme une autre elle, plus étroite, discrète, je tiendrais dans son mouchoir.
J’aimerais comme elle cultiver sa pugnacité, trouver le chic suprême du savoir-décliner. Arraisonner comme elle la souffrance et la vieillesse. Pour m’encourager, elle me dit que je ne dois pas perdre le goût de me parer, de me maquiller, c’est autre façon de résister. Tu sais, je n’ai pas encore rencontré une femme de cinquante ans qui fût découragée, ni une sexagénaire neurasthénique. Jean écoute d’une oreille distraite ces conseils féminins. Dilettante esthète entonne Satie du bout de ses lèvres fumeuses. J’aimerais n’avoir comme eux deux ni domaines interdits ni routes brouillées ni seuils effacés.
Juste bravo et de t’y lancer, cette proposition m’intimide!
Ce texte c’est un peu une double déclaration. Je crois qu’il faut se laisser guider par l’amour, l’admiration qu’on a pour eux. Ce sont Colette et Cocteau, cela aurait pu être d’autres.
C’est un déjeuner, cela aurait pu être une promenade.
Voilà un accompagnement de gourmet… Bravo!
Merci, oui, c’est exactement ça
et puis c’est rudement bon la flognarde, pas besoin de pénuries pour ça. Mais je ne savais pas qu’ils la connaissaient en Bourgogne, croyais que c’était juste pour les limougeauds.
Comme beaucoup de spécialités culinaires, elle existe ailleurs sous d’autres noms. Et puis Colette a beaucoup bourlingué à travers la France…
J adore , on est complètement plongé dans cette scène gourmande
Si bien racontée entre Colette et Cocteau .
Pour ma part, je n ai pas eu le temps et la disponibilité de me consacrer à cette proposition . J apprécié d autant plus . Bravo !
Merci Carole, curieuse de savoir quelle direction vous prendrez
Quelle finesse !
Merci
Oh comme ça emporte et donne envie de dévorer : les mots ( « J’aimerais comme elle cultiver sa pugnacité, trouver le chic suprême du savoir-décliner. Arraisonner comme elle la souffrance et la vieillesse. Pour m’encourager, elle me dit que je ne dois pas perdre le goût de me parer, de me maquiller, c’est autre façon de résister. »)Merci Perle
Merci Nathalie, pour la lecture et le message
J’aimerais n’avoir comme eux deux ni domaines interdits ni routes brouillées ni seuils effacés. Oui oui oui ! quelle perspective ! Quel travail aussi ! Merci !
Merci Jacques !
Un régal ce texte ! Des mots absolument savoureux qu’on mange délicatement et avec appétit. J’aime par exemple cette phrase : « Dilettante esthète entonne Satie du bout de ses lèvres fumeuses. » Ou encore celle-ci : « Je me regarderai alors comme une autre elle, plus étroite, discrète, je tiendrais dans son mouchoir. » Un texte à relire.
Merci beaucoup, Émilie !
Un texte plein de gourmandises: c’est très bien vu et bien dit!
Merci pour votre lecture, Solange
Très beau texte.
Plaisir de faire un bout de chemin avec ces trois personnages, cette scène autour du repas.
Et la force de la fin du texte autour de ce ‘J’aimerais comme elle / eux’ !
Oui, comme une suite à donner, une leçon de vie
Bravo Perle pour cette scène, on y est absolument.
Merci à vous