#anthologie #17 | The welcome table

Je ne sais plus comment j’ai appris que Baldwin avait passé une dizaine d’années à Istanbul où il avait trouvé après la France un refuge. Le court métrage de Sedat Pakay « from another place » est introuvable. J’ai pu visionner un extrait de 2 minutes 38 où l’on voit le corps petit, maigre et noir de Baldwin dans un grand lit. Il se réveille, sort du lit, son slip est d’une blancheur irradiante sur sa peau noire, il tire le rideau, la lumière entre dans la pièce, il sort du champ et revient en robe de chambre sombre s’asseoir sur le lit pour fumer une cigarette qu’il éteint presque aussitôt. La pièce est nue et ne compte que le lit, un tabouret pour les cigarettes et le cendrier et la fenêtre qui ouvre sur le Bosphore et les collines de la ville. Il se lève, sort du champ à nouveau après avoir longuement ajusté sa robe de chambre face camera en refaisant le nœud de sa ceinture. Il marche maintenant sur une place alors que des oiseaux s’envolent sur son passage. Il est assis comme pour se faire prendre en photo. La séquence se termine après un travelling sur un plan fixe de plusieurs hommes debout face camera et qui me regardent. La voix off de Baldwin accompagne ces images. Il parle des États-Unis qu’on ne peut comparer à aucun autre pays et de son métier d’écrire. James Baldwin a habité Istanbul. Il devait sans doute sans maîtriser la langue, être capable de dire bonjour, merci et payer ses fruits au marché. Il devait faire la cuisine même si cette fois sur une photographie je le vois en compagnie d’une femme qui lui sert un petit déjeuner. Elle est en blouse de travail et lui sourit. La photographie que je préfère et dans laquelle je me glisse est celle où il fait la cuisine. Nous partageons la même maison pour écrire. Nous rions beaucoup parce que c’est un homme joyeux même si parfois surtout quand il écrit il peut être irascible. L’écriture installe des impatiences, des agacements et la présence d’une autre personne dans la pièce ou la maison où on écrit peut nous être insupportable tant elle brouille ce que nous tentons de discerner et d’entendre. Le poète est le témoin. James se voulait le témoin de ce qui devrait rester une fois la tempête passée disait il quand la poussière tombe quand la fumée se dissipe et que nous nettoyons l’odeur de la cendre, quelque chose sera là. Une voix silencieuse sera là pour nous et existera en nous maintenant. Elle sera là dans un appel presque inaudible pour dire l’amour, se voir entier. Je suis dans la cuisine aux carreaux blancs. Je le regarde faire. Il porte un tablier à pois. Il semble avoir oublié ma présence tant il est absorbé par ce qu’il fait. Je sais mon privilège, le quotidien que je partage loin de la marchandisation de son image d’écrivain activiste noir. Un homme dans la simplicité de la préparation d’un repas alors que je prépare la table de bienvenue.

A propos de Gilda Gonfier

Conteuse, paysanne, sauvage. Voir son site 365 oracles.

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