# anthologie #17 | dans un flot


Je franchis les trois marches, pousse la porte vitrée avec ces courbes art déco en bois et entre dans la salle, une grande radio en bois sur ma droite, des miroirs et des meubles en bois, des tableaux préraphaélites au mur et je reconnais Ophélie, la femme morte allongée dans la rivière, encerclée des fleurs, les petites tables rondes et la jeune serveuse au cheveux roux, écho des femmes des tableaux, si ce n’est pour le tablier blanc sur sa longue jupe noire, elle m’accueille souriante. La salle est lumineuse, située au croisement elle donne sur deux rues, près du square, à quelques centaines de mètres de leur maison au 52, Tavistock Square. Le quartier est calme, traversé par des gamins qui jouent dans la rue, les maisons et les immeubles en briques rouges sont endormies à cette heure-ci, seul résonne le ballon. Mais à l’intérieur de la salle, les voix des différentes tables se font écho dans un brouhaha de fond, un enfant au yeux bleu feuillette le journal, les deux dames à sa table parlent du thé en le dégustant lentement, alors que les jeunes femmes à la table d’à côté marquent leur mots avec des signes de la tête. Je ne la vois pas. Je continue à la chercher par le regard, table par table, avant d’avancer dans la salle. Et c’est là que je la vois, assise à la table tout au fond de cette petite salle de thé, là où la lumière ne pénètre plus, en train d’écrire sur son carnet noir avec le dos rouge, elle est tellement concentrée que ne voit personne autour d’elle, elle m’attend en écrivant. Je n’ose pas lui adresser la parole et j’attends restant debout devant elle, la regardant écrire. Son écriture est un flux qui sort de son stylo plume, un torrent de mots interrompu à chaque ligne, questo fiume in piena, ce fleuve déchainé, brisé à chaque ligne, je regarde cette écriture surgir sans pouvoir lire, je vois aussi son nichon qui surplombe sur son cahier, elle a encore des traces de ses cheveux châtains. Puis, elle s’arrête d’un coup. Et c’est là qu’elle lève la tête et s’aperçoit de ma présence et me sourit un peu embarrassée, je n’avis pas soupçonné ce trait de timidité chez elle, mais non, je lui confie le bonheur de voir ce flot de mots qui surgissent là, à sa source, l’encre encore mouillée, c’est là qu’elle baisse à nouveau la tête, ouvre son petit sac et en tire une cigarette avec son fume-cigarette noir et commence à fumer, puis elle regarde son cahier et entre une bouffée de cigarette et l’autre commence à me lire ses lignes . How dois it sound ? A la fin de la lecture elle me demande comment sa sonne. Je n’ai pas d’autres mots que It sounds. Et là elle devient elle même ce fleuve tumultueux, sans plus le bord du cahier, elle me raconte tout son projet, senza argini che la tengano, tout ce livre qu’elle est en train d’écrire à partir de ses relations et de son quotidien et puis après toute cette crue elle s’arrête d’un coup et là elle me fixe à nouveau, elle appuie sa joie droite sur les doigts de sa main, m’appelle par mon prénom et me demande qu’est-ce que j’écris et où est-ce que j’écris et face à mes hésitations me dis de ne pas lâcher, jamais, que pour une femme c’est plus dur, mais que c’est possible, nécessaire, qu’elle sait que pour moi aussi c’est le seul salut possible, elle me dit d’écrire tous les jours, même lorsqu’on dirait n’avoir rien en tête, simplement d’écrire. C’est là que nos thés arrivent dans leurs tasses en porcelaine blanche. Nous nous regardons dans les yeux et nous nous sourions.

‘Now they have all gone,’ said Louis. ‘I am alone. They have gone into the house for breakfast, and I am left standing by the wall among the flowers. It is very early, before lessons. Flower after flower is specked on the depths of green. The petals are harlequins. Stalks rise from the black hollows beneath. The flowers swim like fish made of light upon the dark, green waters. I hold a stalk in my hand. I am the stalk. My roots go down to the depths of the world, through earth dry with brick, and damp earth, through veins of lead and silver. I am all fibre. All tremors shake me, and the weight of the earth is pressed to my ribs. Up here my eyes are green leaves, unseeing. I am a boy in grey flannels with a belt fastened by a brass snake up here. Down there my eyes are the lidless eyes of a stone figure in a desert by the Nile. I see women passing with red pitchers to the river; I see camels swaying and men in turbans. I hear tramplings, tremblings, stirrings round me. The Waves

A propos de Anna Proto Pisani

Passionnée par la création et l’écriture, j'ai publié des textes et des articles sur différentes revues et les ouvrages collectifs sur la littérature postcoloniale Les littératures de la Corne de l’Afrique, Karthala, 2016 et Paroles d’écrivains, L’Harmattan, 2014. J'ai créé et fait partie du collectif des traductrices de Princesa, le livre de Fernanda Farìas de Albuquerque et Maurizio Iannelli (Héliotropismes, 2021). Je vis tous les jours sur la frontière entre la langue italienne et la langue française, un espace qui est devenu aussi ma langue d’écriture.

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